dimanche 3 juin 2012

Le Magasin de Curiosités de Jean-Daniel Dupuy, ou le voyage immobile

"Jeu: Série complète d'objets de même nature et d'emploi analogue." (Petit Robert de 1996)

Dans le livre d'or du magasin de curiosités, un fil rouge vermillon relie chaque pièce à sa consoeur.
Fourmilière d'impressions, pour le découvrir dans son intégralité, il serait nécessaire d'y consacrer une année entière, nous prévient-on. Il faudra donc se contenter d'un échantillon, condensé de mémoire vive, et de rêverie instantanée. Du matériel de tricheur au bestiaire excentrique en passant par la pièce musicale pour automate, le flacon d'O de lune, l'exploration révèle entre les refrains tout un lot de surprises, de passages secrets et de chausse-trappes. Pour éviter de rester en marge de cette déambulation, ne pas hésiter à marquer la page de son empreinte, à laisser un cadavre exquis dans la marge, voire même à revenir en arrière, crimes passibles d'une pénitence supplémentaire dans le pays des songes.
Nonobstant la contribution des sens, on se déplace d'autant mieux les yeux fermés afin de capter ce qui se dérobe au premier regard, les dessous et les coulisses, les miroirs sans tain et les visages masqués. Le jeu et la duplicité font partie intégrante de ce grand labyrinthe où l'on se perd volontiers. Le tirage au sort de la grande loterie nous laisse entre les mains d'un prestidigitateur qui prend un malin plaisir à multiplier les tours de passe-passe, sans que l'on puisse en prendre conscience. Les inquisiteurs décèleront peut-être quelques clins d'oeil aux lectures marquantes de l'auteur, Gabrielle Wittkop (et son Almanach) en tête, Jacques Abeille, Mervyn Peake pour ne citer qu'eux.
Outre un remède naturel contre l'oubli, le livre en lui-même est un bien bel ouvrage dont il serait fort dommage de se priver.




mercredi 29 février 2012

A suivre: Docteur Pasavento ou l'art de la disparition


Epuisé, le Docteur Passavento avait littéralement disparu des librairies.
A force d'abnégation, après avoir écumé les cabinets de curiosités les plus loufoques, consulté les bibliothécaires les plus érudits, harcelé les collectionneurs les plus irréductibles, j'ai enfin retrouvé sa trace au milieu de nulle part. Le voile sera levé très bientôt.

dimanche 1 janvier 2012

Liquide: la mémoire au fil de l'eau



Photographie de Matthieu Dupont


C'est au fil du temps, d'une nécessaire introspection que certaines scènes de l'existence - apparemment banales, a priori sans importances - peuvent révéler tout leur sens. Les détails occultés et les petits rien négligés sur le bas-côté de la vie - la couleur du papier peint, un évier jonché de vaisselles, le tintement d'un glaçon, ressurgissent parfois avec une intensité proportionnelle à la faculté de se laisser emporter par le courant des souvenirs. Pourtant, en apparence, le passé demeure, ni plus ni moins tel qu'il était à l'époque. Mais seulement voilà, le regard s'est doté d'une acuité nouvelle qui lui permet désormais de percevoir la signification cachée derrière ces instantanés qui sont devenus des révélations. Est-ce le fruit du hasard si celui-ci se porte vers la surface du fleuve qui lui fait face, s'agit-il en fin de compte d'une réflexion mûrement réfléchie amenant l'homme à se pencher sur les brindilles qui oscillent au rythme du fleuve qui les conduit? Les sens qui captent le flux incessant de la nature, sont-ils tout à fait innocents dans cette réminiscence impromptue? Après tout, quels sont les mécanismes qui orientent la mémoire vers telle ou telle direction? Qu'est-ce qui l'amène à s'attarder ici ou là, dans les failles les plus secrètes de notre passé, à dessiner telle ou telle trajectoire improbable, tandis qu'elle pourrait dériver partout ailleurs?
Liquide de Philippe Annocque ressemble à une sorte de roman réflexif qui se déploie au fil de l'eau. La narration lancinante, fidèle au tempo de la mémoire du narrateur, est faite de circonvolutions, d'apartés, de variations, de contrepoints, de fugues, de va-et-vient. Dire qu'il n'y a qu'un seul et même personnage tout au long du récit - au même titre, qu'il n'y a qu'un seul et même auteur derrière chacune des oeuvres de Philippe Annocque - ne serait pas tout à fait juste. En effet, de façon presque imperceptible, éminemment progressive, celui-ci met en scène la rencontre d'un homme d'âge mûr et de celui qu'il était alors, identique et différent à tout moment. Le troisième personnage - et pas des moindres - celui sans qui ce rendez-vous serait compromis, n'est personne d'autre que l'élément liquide irriguant la mémoire. Se livrer à lui - un livre n'est-il pas une confession de notre condition, une sublimation de notre état terre à terre - offre les conditions propices à la plongée entre deux dimensions d'un individu, celle qui vit, et celle qui prend conscience.



  A parcourir: Liquide de Philippe Annocque chez Quidam Editeur (2009)