Après avoir lu son livre La Taverne du Doge Loredan, je voulais en savoir un peu plus sur l'écrivain Alberto Ongaro C'est très naturellement et gentiment qu'il a accepté de donner suite à mes questions à propos de sa vie et de son oeuvre.
Merci à lui pour son aimable collaboration.
Monsieur Ongaro, vous êtes très peu connu en France. C’est avant tout votre carrière dans le monde de la bande-dessinée qui est reconnue. D’ailleurs, voici le maigre article qui vous est consacré sur wikipedia . "Alberto Ungaro est un scénariste italien. Avec Hugo Pratt et Dino Battaglia , il est l'auteur des bandes dessinées Junglemen et l'As de Pique." Point.
Monsieur Ongaro, vous êtes très peu connu en France. C’est avant tout votre carrière dans le monde de la bande-dessinée qui est reconnue. D’ailleurs, voici le maigre article qui vous est consacré sur wikipedia . "Alberto Ungaro est un scénariste italien. Avec Hugo Pratt et Dino Battaglia , il est l'auteur des bandes dessinées Junglemen et l'As de Pique." Point.
Cela a le mérite d'être concis. En tant que romancier, vous êtes surtout connu pour la biographie romancée que vous avez faites de votre compère et ami Hugo Pratt, intitulée Une Vie d’Aventures. Pouvez-vous me dire quelques mots sur votre vie et surtout votre rapport à l'écriture?
Alberto Ongaro: Je ne sais pas pourquoi je ne suis pas très connu en France. Apres la publication à Paris de La Partita(le livre qui a obtenu en Italie le prix Campiello), j'ai reçu plusieurs critiques, toutes très bonnes, dont une du journal Le Monde. Il est arrivé la même chose pour “Une vie d'aventure”. Peut-être depuis m'avait-on oublié. Cependant quelque part en France, j'ai vu apparaître mon nom associé aux titres professionnels de scénariste, grand reporter, romancier, membre du fameux groupe de Venise.
J'ai toujours écrit. Je ne sais pas si vous savez qu'après la guerre moi, Hugo Pratt, Mario Faustinelli, Giorgio Bellaviti(le groupe de Venise) avons fondé un magazine de bandes-dessinées appelé “l'asso di Picche”. Je projetais de devenir scénariste de cinéma et je considérais les bandes-dessinées comme une parfaite école pour apprendre le métier. Mais notre revue a été rachetée par la plus grande maison d'édition d'Amérique du sud qui nous a amenés à Buenos aires avec des contrats de travail fantastiques. J'ai vécu sept années à Buenos aires; cette période a été caractérisée par une extraordinaire vitalité, créativité et joie de vivre. Notre maison, un chalet à Acassuso, un quartier près du Rio de la Plata est bientôt devenu un lieu de rencontres, de fêtes dont les gens se rappellent encore. A buenos aires, j'ai commencé à être journaliste correspondant, ma seconde option après le cinéma.
Quand je suis retourné en Italie, pour des vacances, j'ai réalisé que j'avais perdu contact avec la réalité de mon pays et j'ai décidé immédiatement de ne pas retourner à Buenos Aires. J'ai trouvé facilement du travail en tant que journaliste à l'agence de press Ansa-united Press (services étrangers) et, pendant trois ans, on m'a permis de travailler en Europe au plus grand hebdomadaire italien de l'époque. J'y suis resté 19 ans comme envoyé spécial, correspondant à l'étranger. Dans la premier moitié de cette période, j'ai écrit mes premiers livres Il complice et Un romanzo d'avventura, le premier traduit dans plusieurs pays dont les Etats-Unis, le second seulement en France. Ce livre, la vie romancée d’Hugo Pratt et du groupe de Venise, sera réédité en Italie en octobre prochain.
Ma première surprise, après avoir lu un roman aussi merveilleux que La Taverne du Doge Loredan datant de plus trente ans, c’est de savoir qu’il avait pu passer inaperçu aussi longtemps et qu’il n’avait jamais eu l’honneur d’une traduction française jusqu’à cette année. Pour le coup, votre livre aurait pu être aussi ce fameux manuscrit poussiéreux traînant au-dessus d’une armoire d’un éditeur français.
A.O.:Au milieu de l'année 1975, on m'a envoyé à Londres, comme correspondant. A Londres, j'ai écrit La taverna qui est sorti en Italie en 1980 pour Mondadori. Le livre a reçu des critiques extraordinaires mais s'est très mal vendu. Quelqu'un a alors dit que La Taverne était trop en avance sur son temps par rapport aux thèmes classiques de la littérature italienne D'autres disent maintenant qu'il est toujours trop avancé sur son temps, même si désormais, il s'est beaucoup vendu.
Pour moi, il recèle tous les ingrédients d’un chef-d’œuvre de la littérature : personnages charismatiques, aventure, humour débridé, langage élégant et surtout une intrigue très mystérieuse qui est la clé de voûte du récit. Même si vous mettez en scène des situations éculées (scènes érotiques, duels à l’épée, course-poursuites…), vos trouvailles sans cesse renouvelées permettent au lecteur de ne pas avoir l’impression d’être devant des clichés. Par exemple, dans un contexte érotique ou il est facile de tomber dans la vulgarité, vous réalisez la prouesse d'élaborer des passages d’une très grande subtilité en usant d’un langage précieux, savoureux et de métaphores délectables. J’ai trouvé l’une d’entre elles absolument géniale : celle de Jacob Flint aiguillé par son sexe comme par une boussole.
Le plus génial si j'ose dire dans votre livre, c'est l'ingéniosité avec laquelle vous créez une confusion entre le lecteur, le narrateur et les personnages. Ceux-ci sont tous interconnectés et certains d'entre eux deviennent presque interchangeables au fil du récit. Quelques-uns m'ont fait penser à des réminiscences, à des apparitions évanescentes, à des fantômes, tout particulièrement la femme au manteau à poil de chameau et Paso Doble. Est-ce un hasard si le mot "double" est contenu dans le nom de l'alter ego de Schulz? Pour moi, Paso Doble est un personnage "prétexte" à un dialogue imaginaire et romancé pour rythmer le récit. Est-ce que je me trompe ?
A.O.:L'idée du sexe-aiguille d'une boussole est née d'une étincelle de l'imagination, comme tout le reste, les métaphores, le moine, la femme de cire. D'ailleurs, comme Paso Doble qui n'existe pas et qui est un prétexte pour éviter la monotonie du monologue intérieur; disons que Paso Doble est Schulz qui discute avec lui-même.
Ce qui m'a le plus fasciné probablement, c'est que vous semblez présenter le lecteur non comme un pantin passif mais plutôt comme un acteur à part entière du récit qu'il est en train de vivre, comme si l'histoire qu'il est en train de découvrir est un peu celle qu'il se plaît à imaginer. Est-ce aussi l'idée que vous aviez en tête?
A.O.: Je vous donne la clé du livre dont peu de critiques se sont aperçu. La taverne n'est pas l'histoire d'un homme qui trouve un livre sur une armoire, le lit et l'aime au point de se transformer en l'un des personnages de l'histoire qu'il lit. La Taverne est l'histoire d'un livre placé à la fin du siècle XVIIIe siècle et qui recèle un personnage moderne transporté dans le passé. Le livre que Schulz trouve sur l'armoire est le même livre dont lui même fait part.*
En parlant de votre récit, je dirais qu'il est littéralement labyrinthique et qu'il s'apparente à la ville de Venise qui est le centre névralgique du récit. C'est aussi une ville qui est vous chère, me semble-t-il? On se perd avec bonheur dans les pages de cette aventure intrigante comme on se perd avec plaisir dans les ruelles du joyau de l'Adriatique. Cette ville ne ressemble à nulle autre. On a comme l'impression que certaines scènes ne pourraient pas se dérouler ailleurs sans être dénaturées. A ce sujet, Venise est un carrefour culturel qui renvoie irrémédiablement au passé de par sa structure, ses monuments chargés d'histoire et sa circulation limitée aux moyens pédestre et fluvial. Un passé prépondérant puisqu'il constitue le fil conducteur du récit.
D'ailleurs, par sa dimension nostalgique, par son regard extérieur porté à un siècle proche de nous en réalité mais en même temps si lointain dans la vie de tous les jours, votre livre évoque pour moi La Lenteur de Milan Kundera.
Parlons inspirations; vous citez volontiers le Manuscrit Trouvé à Saragosse de Potocki qui est en quelque sorte l'ancêtre, le monument du roman à tiroirs et dont vous vous faites un plus que digne successeur.
A.O.: Les livres que j'ai le plus aimés: Le Grand Meaulnes de Alain Fournier, Les Cahiers de Malte de Rilke, les œuvres de Conrad, Stevenson, Dostoïevski, Melville, Lowry, Nabokov. Je n'ai pas lu La Lenteur de Kundera et je crois que pendant l'élaboration de la Taverne, Kundera était encore méconnu.
Je viens de relire votre livre pour élaborer ce texte et je me suis rendu compte de certains détails. J'ai l'impression qu'ils représentent des ruses volontaires. En effet, dans la quasi-totalité des livres, nous avons certains points de repère immuables comme le titre au-dessus de chaque page et des chapitres numérotés, l'omission des guillemets pendant les dialogues entre Schultz et Paso Doble. J'ai ressenti ça comme une prolongation subtile de l'originalité narrative de votre œuvre.
D'autre part, le monsieur à la fenêtre évoqué à la toute fin de celle-ci m'a fait inévitablement pensé à vous-même en train de l'élaborer. Je me suis dit que c'est en observant les gens vagabonder dans la rue que vous avez conçu de fil en aiguille ce récit. Pouvez-vous me parler de la genèse de cette incroyable histoire?
A.O.: Ainsi, j'ai écrit la taverne à Londres mais l'idée est née au Mexique. Pendant un voyage de travail, j'ai décidé de faire un pèlerinage à Cuernavaca où se trouvait un des livres que j'ai beaucoup aimé, En-dessous du Volcan de Malcolm Lowry dont l'histoire se déroule le 2 novembre, le Jour des Morts. Sans m'en rendre compte (et poussé par ma relation profonde avec ce livre) , j'arrive à Cuernavaca le jour des morts et j'ai la sensation d'être entré dans le livre que j'aime tant. De là est né l'idée du livre constituant un lieu duquel on peut entrer et sortir. C'est la première graine de La taverne.
J'ai eu beaucoup de mal à avoir plus d'informations en français sur le web au sujet de votre œuvre en général. Cependant, grâce aux éditons Anarchasis , j'ai appris qu'ils allaient publier le 19 avril prochain un autre de vos ouvrages, intitulé Le Secret de Caspar Jacobi, la dernière de vos œuvres. Votre bibliographie recèlerait-elle d'autres pièces d'une valeur inestimable?
A.O.: En fait, j'ai un projet en tête mais il est encore très vague.
Je vous remercie infiniment Monsieur Ongaro. Quoiqu'il en soit, merci pour votre contribution à l'amour que je porte à la littérature et sa magie.
2 commentaires:
Bonjour Edwood,
Vous m'avez vraiment donné envie de découvrir Alberto Ongaro dont je viens d'acheter Le secret de Caspar Jacobi où il semblerait bien qu'il y soit question de livres qui vampirisent les lecteurs...C'est un ouvrage qu'il va falloir que je mette en exergue sur le vampire réactif, forcément, compte tenu de notre filiation tournierienne! Je vous dit merci d'avance. Je sens que ce bouquin va terriblement me plaire!
Amicales pensées littéraires,
Irma Vep
Bonjour Irma Vep,
Je suis ravi que vous vous lanciez dans les livres d'ALberto Ongaro. C'est un extraordinaire raconteur d'histoires qui aborde souvent de façon troublante le thème de la littérature. Son secret réside en partie dans la confusion qu'il parvient à faire naître insensiblement entre le narrateur, les personnages et le lecteur. Lire Ongaro, c'est rentré dans un jeu enivrant auquel il est difficile de remettre la partie avant de refermer les dernières pages de son livre.
Enfin, je n'ose vous en dévoiler plus et vous invite à me faire part de votre avis à la suite de votre prochaine lecture( il y a un article réservé au secret de Caspar Jacobi).
Dans l'attente de vous relire, je vous salue amicalement.
Enregistrer un commentaire