lundi 15 décembre 2008

LES VOYAGES DU FILS, suite du cycle des contrées

Si Le Veilleur de jour se présentait comme une énigme à nombreuses facettes, incarnée par l'édifice dans lequel le veilleur passe ses journées, Les Voyages du fils, à l'inverse, reconstitue progressivement les pièces éparpillées du puzzle qu'a contenu la vie tumultueuse de Barthélemy Lécriveur.
Le tome 3 du passionnant cycle des contrées nous fait suivre le voyage qu'entreprend son fils, Ludovic Lindien, pour revenir dans les lieux qui ont marqué la vie du veilleur, des forêts profondes des hautes brandes à Terrèbre, en passant par l'évanescente auberge verte.
D'emblée, ceux qui auront parcouru les pages du cycle seront probablement déconcertés par la structure morcelée en chapitres. Celle-ci s'explique essentiellement par le fait que les différents récits ici présent ont été composés dans un intervalle d'une vingtaine d'années environ(depuis le milieu des années 80). Pourtant, cette approche ne choque pas car elle se marie bien avec l'entreprise qui consiste à redonner vie au passé du veilleur par le biais des découvertes de son fils grâce aux souvenirs des personnages qui ont côtoyé son père.
Dès le premier chapitre, l'homme nu, le thème de l'identité, qui hante l'oeuvre en profondeur, est dévoilé subtilement par l'intermédiaire de l'histoire de deux villages voisins situés dans les hautes brandes, Ronceraie et Sente, qui ont échangé leur nom, suite à une brouille territoriale.
C'est dans l'un d'entre eux que Ludovic Lindien apprendra les déboires de son père. Comme les villages, les noms des personnes sont d'emprunt , les personnages et les destins interchangeables. Le narrateur devient auditeur, l'auditeur devient narrateur et personnage de son histoire, pour engluer le lecteur dans un rêve trouble peuplé d'hommes qui ne sont que les ombres d'eux-même. C'est à rebours, comme pour décupler l'attente du lecteur, que les pages de son histoire lui seront révélées, pas à pas.

Jacques Abeille se plaît à utiliser certains détails oubliés des récits et livres précédents du cycle pour les faire ressurgir plus brutalement. On pense aux cahiers que tenaient l'inspecteur Malavoine dans Le Veilleur ou au rite initiatique des trois serpents. Les signes et symboles abondent mais faut-il encore savoir les déchiffrer, au milieu de cet enchevêtrement virtuose de récits qui ne prennent sens que par l'intermédiaire d'un autre. D'ailleurs, à ce titre, comme le recommande vivement l'auteur dans un avertissement qui ouvre le présent volume, je ne saurais trop vous conseiller d'arriver au terme des deux précédents, avant de vous engager dans celui-ci. Le mystère et les surprises qui s'en suivent en valent largement la chandelle.



Plus que jamais, j'ai été tout particulièrement charmé par le compromis qui a été trouvé d'une part, entre le récit d'aventures empreint de mystère( dans lequel berçait largement le livre Les Jardins statuaires) et le récit sous forme de narration, d'autre part entre des contrées rythmées par des castes, coutumes et mythes imaginaires(Les jardins statuaires) et des lieux qui se rapprochent bien plus de ceux dans lesquels nous vivons (Terrèbre qui est le coeur de l'action du Veilleur du jour).
Parmi l'une des récompenses attendues par lecteur assidu du cycle, le voile sera enfin levé sur l'identité du mystérieux auteur des jardins statuaires. Je ne vous en dirai pas plus. Si, une dernière chose, la fin du livre est une mise en bouche admirable sur le quatrième tome, Chroniques scandaleuses de Terrèbre, dont en plus du titre évocateur, la signature de Léo Barthe laisse présager la nature érotique.
Pour l'heure, je me contenterai de saluer la réédition groupée de ce chef-d'oeuvre littéraire, bien trop méconnu à mes yeux. Un vrai travail éditorial a été fait par Deleatur/Ginkgo pour rendre plus légère la mise en page d'origine( quand on songe par exemple au pavé d'origine du Veilleur du jour chez Flammarion) et apporter, par le biais d'illustrations de Michel Guérard, un autre visage à l'évocation si poétique de Jacques Abeille. De plus, j'ai fort apprécié la grande carte des contrées qui est fournie en sus dans l'édition reliée. Celle-ci m'a notamment permis de bien visualiser l'un des moments-clé de l'histoire du cycle, le parcours déroutant qu'ont parcouru les légions de cavaliers des steppes pour prendre à contre-pied la cité portuaire de Terrèbre.
Bravo encore à Jacques Abeille, à et à sa poésie flottante,à Pierre Laurendeau aussi, d'avoir fait revivre des contrées oubliées de la littérature.





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