Il est l'heure d'évoquer une autre précieuse revue du genre qui explore les cauchemars, les mondes parallèles, les mystères d'outre-tombe, les découvertes insolites et autres chimères de l'espèce humaine.
«La Gorgone courait dans les nuées, dont les voiles semblaient mouler sa face. Et la foule, couleur d'incendie, s'entassait dans les embrasures en admirant l'âpre désolation de la terre sous la menace du ciel.» Villiers de l'Isle-Adam
Les aventuriers de l'art perdu ont lancé en ce début d'année 2009 le vingtième numéro de la revue.
Pour pénétrer le boudoir des gorgones, j'ai choisi les numéros 15(juin 2006) et 16(octobre 2006), un choix assez subjectif dois-je reconnaître tant les autres parutions me faisaient de l'oeil ( sans mauvais jeu de mots).
Les noms de Jules Lermina et Jean Lorrain ont peut-être eu un rôle non négligeable à jouer dans ma sélection du moment.
Sous la forme rudimentaire d'un cahier de poésie de l'école élémentaire, l'objet recèle des sortilèges capables d'hypnotiser le plus vaillant des lecteurs.
L'ensemble est composé de trois parties, dont le titre de chacune d'entre elles ne laisse que trop bien deviner l'atmosphère dont elles sont empreintes. Amoureux du pays des bisounours, passez votre chemin, il est encore temps.
Filles de Phorcis et de Ponto ( ou de Céto) , elles étaient trois soeurs: Sthéno (la perversion sociale), Euryale (la perversion sexuelle) et Méduse (la vanité), monstres terrifiants qui vivaient près du pays des Hespérides.
Le triptyque infernal débute avec Dans les griffes de Sthéno, un ensemble de nouvelles déterrées avec un goût rare pour le morbide. A l'occasion du numéro 15, nous avons droit à un longue nouvelle de Jules Lermina, datant de 1888. L'attirance de l'auteur pour les sciences occultes est particulièrement palpable dans La Maison tranquille. Celle-ci est une demeure dont les voisins s'en tiennent à l'écart, tant les bruits qui courent à son sujet ne sont guère rassurants. Force est de constater que les mystérieux locataires, en tête desquels figurent le chétif professeur Aloysius et le rubicond Truphêmus, dont le contraste de physionomie donnera lieu à des gags judicieusement placés, ne sont pas non plus particulièrement enclins à se montrer au grand jour. A ce sujet, comment ce foyer, complété par la femme du professeur Aloysius et sa fille, fait-il pour subsister, dans le dénuement le plus complet? Le secret de cette demeure se cache-t-il derrière son étonnante architecture ou dans les recettes alchimiques dont semblent user dans l'ombre les deux savants? Inventivité et mystère sont ici savamment distillés.
Beaucoup plus court, la nouvelle Les yeux du mort de Jean Lorrain est aussi beaucoup plus classique dans le fonds. Elle n'en est pas moins, en cette fin de XIXème siècle, un témoignage fascinant de la représentation de la thématique du pouvoir d'hypnose. La présentation concise de l'auteur qui suit est fort appréciable.
Pour le numéro 16, quelques pièces de la fin du XIXème siècle jalonnent la première partie.
Parmi celles-ci, nous dégusterons un cépage capable de ranimer les terres et ancêtres de Pompéi. S'ensuit un article fort enrichissant au sujet de l'intérêt qu'a exercé Pompéi dans la deuxième moitié du XIXème siècle, de Gautier et Arria Marcella(1852) à Toudouze justement. Vous vous rendrez compte qu'il y a un terreau commun à ces oeuvres.
Dans la nouvelle La Lampe(1892) de Gaston Danville, le mystère d'une lampe est relatée à travers le journal elliptique d'un cas étrange, dont la conclusion rationnelle exposant la théorie de vigilambulisme hystérique n'exclut pas pour autant les plus audacieuses interprétations.
Une histoire étrange de G.Sénéchal ( 1892) évocation d'un phénomène de somnambulisme, présente un intérêt bien peu banal en comparaison des autres oeuvres présentées ici.
La section boîte aux lettres qui vient après est une missive extraite d'un ancestral journal, Le petit français illustré, l'anti-Larousse par excellence, qui a pu servir de modèle aux concepteurs du boudoir. Il y est ici question d'une de tablette de feu de pur-sang, permettant aux chevaux de prendre la poudre d'escampette, ou du cheval-vapeur dans le numéro 16.
"Méduse aurait été une belle jeune fille, un peu trop fière de sa chevelure. Pour la punir, Athéna l'aurait changée en un paquet de serpents. Aussi repoussante qu'elle fût Méduse n'en eut pas moins pour amant Poseidon : elle s'unit à lui «dans une molle prairie parmi les fleurs printanières» comme le raconte poétiquement Hésiode."
Sous le regard de méduse est la partie qui m'a le plus charmé par son ambiance. A chaque livraison, nous retrouvons les étranges enquêtes du commissaire Clès, dues à des auteurs qui alternent d'un numéro à l'autre. Présentant d'étranges similitudes avec des crimes répertoriés dans l'histoire des mystères insolubles, comme celui de la bête du Gévaudan(dans le récit de Viviane Etrivert) ou des mythes revisités comme la vengeance de Morphée(par Amélith Deslandes), elle comporte une ambiance particulière et des personnages charismatiques susceptibles d'apporter un côté désopilant et un charme suranné à la fiction.
"Lorsque Persée lui eut coupé la tête, on vit surgir le grand Chrysaor et le cheval Pégase; celui-ci reçut ce nom, parce qu'il naquit à côté des sources d'Océan, celui-là, parce qu'il tenait en naissant une épée d'or."
Dans l'ombre d'Euryalé, est composé du chercheur du merveilleux, petit cocktail d'encarts de journaux imaginaires, au contenu étrange et décalé, inspiré du style tapageur de certains quotidiens. Parmi ces petites sucreries, on dégustera ce récit de malédiction d'Ötzi, qui semble s'emparer des personnes liées de près ou de loin à l'hibernatus, retrouvé après 5400 ans dans un glacier du Tyrol italien. Il n'aurait été guère surprenant de voir le grand Gautier s'en servir comme matériau à l'un de ses récits fantastiques.
Le dessert du numéro 16 est sans conteste un portofolio de The Giant Hands par Alfred Crowquill, surnommé le Gavarni de Londres. Les quatorze illustrations qui jalonnent ces pages sont un pur enchantement qui rappelleront les mondes féeriques des contes pour enfants, de Perault ou des frères Grimm. L'usage des mains géantes est prétexte à une inventivité qui rehausse encore le charme de ces dessins, dont on aimerait s'en délecter par douzaines.
The last but not least présente un florilège de parutions dénichées par Philippe Gontier, responsable de la revue. De nouvelles portes ouvertes vers des mondes ténébreux, comme cette réédition de Michel Rozenberg, présenté comme le successeur de Jean Ray, rien que ça.
Les revues sont joliment illustrées, sans fioritures, dans un style qui se marie fort bien ma foi aux textes qui sont présentés et à l'atmosphère qui s'en dégage.
Avec cette petite revue fort sympathique, l'appel au voyage vers d'autres contrées, vers de lointains rivages est aussi irrésistible que le regard diabolique de Méduse.
"Pégase s'envola et quitta la terre, mère des brebis, pour s'en aller vers les Immortels, et il habite dans le palais de Zeus, portant, pour ce dieu prudent, le tonnerre et la foudre."
A découvrir: Le boudoir des gorgones, revue de littérature étrange et fantastique
4 commentaires:
La Meduse est passée et ici et à bien aimé ce billet
Je souhaite la bienvenue à la Méduse.. et au renard, afin qu'il n'y aie pas de jaloux.
Je vous remercie pour le compliment que je vous retourne sans sourciller pour votre blog, que j'ai déjà glissé dans mes favoris.
Je compte bien le découvrir plus en profondeur très bientôt. Le ton à la fois désopilant et mystérieux me plait bien.
@ bientôt en ces lieux ou ailleurs.
Bien à vous.
Écrire pour le Boudoir des Gorgones des aventures d'Armand Cles, le détective séduisant et mystérieux confronté à l'étrange, a été un vrai plaisir. Tout est affaire d'ambiance, il faut entrer dans son monde, en s'inspirant des auteurs 19eme début 20eme dont les textes fantastiques ouvrent le recueil.
J'ai un très bon souvenir...
Viviane Etrivert
Viviane, bienvenue dans la Taverne et merci de votre passage.
Le boudoir des gorgones est une revue qui nous plonge dans une ambiance oppressante à souhait.
C'est un joli pied de nez aux détracteurs du genre fantastique qui ne l'envisagent plus que comme un territoire répétitif et aseptisé.
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