vendredi 4 décembre 2009

U-Boot de Robert Alexis: Roman en eaux troubles


La taverne avait déjà évoqué en termes élogieux le roman La Véranda de Robert Alexis, déjà publié chez José Corti, avec quelques réserves sur la deuxième partie toutefois.

La dernière création du mystérieux écrivain aborde, elle, une période maintes fois exploitée par la littérature, à savoir la seconde guerre mondiale. Le roman présent est inspiré d'une page sombre mais réelle de l'histoire.
Ce qui aurait justement pu constituer un vice dans un autre roman constituera au final une richesse insoupçonnée.


Plongée en eaux troubles

"Nous ne savions rien de la mission confiée à un équipage trié sur le volet, mais ce devait être quelque chose de peu ordinaire, qui justifiait que l'on planquât le 823 et sa gueule d'ange, qui rameutait tous les pontes, un amiral, un général, une bonne dizaine d'ingénieurs et de techniciens en blouse blanche."

Dans la dernière partie de la deuxième guerre mondiale, un jeune soldat de la marine allemande s'embarque depuis les côtes scandinaves dans un sous-marin dont on ignore l'objectif de la mission. Plongés au coeur des ténèbres, les protagonistes de même ignorent tout du périple qui les attend. L'amour aveugle de la patrie et la foi en un Führer surpuissant, incarnée par le commandant Koszalin, sont les seuls guides de ces soldats.

Dans ces conditions, les combattants sont condamnés à rester prisonniers des profondeurs aquatiques, à filer aveuglement vers une destination inconnue, sous peine d'être menacés par la réalité de la guerre.

Comme un pressentiment afin d'exorciser l'enfer qui les attend, Magath a l'idée d'un jeu distrayant, qui donnera à lui et ses camarades, l'occasion de le convertir en paradis ou en purgatoire.
Chacun d'entre eux devra raconter la vie qui a précédé l'engagement dans l'armée. Comme dans les autres romans de l'auteur, c'est le passé qui insuffle la vitalité présente au récit. Au cours de ces résurgences, l'écriture obsédante et caressante de Robert Alexis excelle.

Le premier à prendre la parole est Kassel. Ses compagnons sont incrédules quand ils apprennent que ce soldat prenait dans sa tendre jeunesse un plaisir indicible à se travestir en fillette voyeuse et incestueuse.
Ouvrir les écoutilles du passé, faire remonter à la surface des souvenirs troubles, s'apparente à un jeu interdit qui risque de provoquer un déferlement incontrôlable. La révélation inavouable s'évanouit inexorablement dans les ténèbres des combats.


Contre vents et marées


Le destin emprunte parfois des voies impénétrables. L'engin qui les emprisonne n'est-il pas lui-même hanté par une force occulte qui le gouverne? D'ailleurs, le cuisinier qui prend la barre après de nombreuses avaries ne déclare-t-il pas:

"Je pourrais piloter tout seul si besoin était. Et puis, ce rafiot est magique; à se demander même s'il a besoin de nous!"

Dans ces conditions, il est vain de vouloir faire machine arrière, de s'opposer à une force indomptable.
Vouloir mettre à jour le fol objectif qui se cache derrière la mission ne risque-t-il pas de compromettre le statut héroïque de ces combattants qui servent un idéal aveuglement, de désamorcer le cours de l'histoire?
U-Boot symbolise d'une certaine façon la providence. En son sein, il abrite les desseins secrets de l'humanité. Il est le témoin du mirage horrible de l'histoire qui aurait pu se transformer en un chaos incommensurable.

"L'univers? C'était la possibilité même du néant, son droit à être néant. Les plus belles choses ou les plus viles, les lois de la nature, le tourbillon de l'histoire et des peuples, le corps et la conscience, avaient pour attributs des formes aussitôt disparues, des riens dont la géométrie s'éclairait un moment d'illusoires significations."





6 commentaires:

Hécate a dit…

Cher Edwood ,je viens de lire votre article sur "U-BOOt" ,et vous avez su voir ce qui me semblait aussi "une richesse insoupçonnée" dans ce thème si usé en littérature ,la guerre .
Exorcisme?... pourquoi pas ,dans ce jeu des confessions révélatrices ,car la parole est agissante ,et dans ce lieu clos ,enclos sous l'eau plus encore...
Vous avez su mettre en lumière ce que j'avais laissé dans l'ombre.C'est un plaisir que d'aborder votre vision de ce roman de Robert Alexis.
Je vous remercie vivement du lien que vous avez fait avec mon billet (et de votre compliment) .Cela offre aux lecteurs éventuels un éventail d'opinions ,et avec le travail fait par Nikola également , ce livre est bien défendu !
Merci à vous.
votre Hécate

edwood a dit…

Hécate, vos passages dans la taverne sont toujours appréciés.
Robert Alexis est un auteur dont l'oeuvre m'attire par ses histoires qui échappent au temps et à l'espace pour s'immiscer dans l'esprit du lecteur.

J'ai tenté de produire une vision personnelle, ce qui n'était pas aisé après vos passages, Hécate et celui de Nikola. Je suis ravi si j'ai atteint mon objectif.

Je ne puis vous cacher à vous, Hécate, fine observatrice d'Alexis, l'élégance de sa prose, comme nulle autre pareille.

Nikola a été en effet l'un des premiers sur le net à faire partager sa passion pour l'auteur.
Vous alimentez cette flamme avec une ardeur peu commune.

Nikola a dit…

Cher Edwood, merci pour cet éclairage sur U-Boot, qui demeure, malgré ses défauts, une belle réussite et un curieux vaisseau sous-marin. Dans son genre, et avec les moyens d'écriture qui lui sont propres (et qui, à mes yeux, font beaucoup dans l'appréciation que je lui porte), Robert Alexis nous entraîne dans de subtiles dérives imaginaires. Ce roman de guerre qui n'en est pas un échappe encore une fois "au temps et à l'espace", malgré son inscription marquée dans le temps des catastrophes. Nous voilà promus, Hécate, toi et moi, les premiers bataillons de hérauts!
Amicalement,
Nikola...

Irma Vep a dit…

Cher Edwood,
que de très bons billets encore et toujours ;-)On y est très bien dans ta Taverne!
Je suis admirative :-)
Tu as pris une vitesse de croisière dans la publication qui m'impressionne!
A bientôt par ici ou par là!
Amitiés,
Irma Vep

edwood a dit…

Chère Irma,
Parler de vitesse de croisière lorsque j'évoque un roman qui se déroule en grande partie dans un sous-marin, n'est-ce pas une belle allusion?

Plus sérieusement, un billet en moyenne par semaine est un rythme qui me convient bien. Cependant, il y a des périodes où mes découvertes m'inspirent davantage que d'autres et durant lesquelles je retiens ma respiration.
Tu connais cela aussi je pense.

Désormais, j'aimerais offrir davantage d'interactivité, des rencontres, proposer des cadavres exquis, innover en somme. D'ailleurs, si l'un des visiteurs dispose d'idées, je suis preneur.
Je vais t'envoyer un petit courrier à ce sujet.

edwood a dit…

Cher Nikola,
Je te rejoins, comme souvent d'ailleurs, pour souligner la tonalité intemporelle des récits de Robert Alexis. U-Boot est loin d'être un roman de guerre tel qu'on le connaît. D'ailleurs, l'auteur ne nous passionne pas par ses descriptions de scènes "d'action", si j'ose m'exprimer ainsi.

Passé et présent se rejoignent souvent pour engendrer des émotions qui ne sont ancrées ni dans l'un, ni dans l'autre.

J'invite à ce sujet tous les visiteurs à découvrir La Véranda, roman particulièrement représentatif de l'oeuvre d'Alexis.

Hécate, Nikola, je suis ravi de voir que nos visions apportent chacune d'entre elles, un complément à l'autre.