lundi 21 janvier 2008

LE JARDIN SECRET DE STEPHEN KING

Certains auteurs sont archi-connus mais, curieusement, certains bijoux de leur bibliographie demeurent, hélas, à l’ombre de leurs best-sellers.
C’est le cas de Vue Imprenable sur Jardin Secret, une longue nouvelle de Stephen King datant de 1986 ?) dont il est fait allusion dans le merveilleux L’Ami Butler de Jerôme Lafargue dont j’ai fait l’éloge sur ce blog. Ainsi wikipedia, « la bible du web » n’en fait même pas allusion dans l’article qui est consacré à l’auteur américain.
Pourtant, depuis, celle-ci a eu l’honneur d’une adaptation cinématographique (2004) signée David Koepp et dans lequel figure la star Johnny Depp. Cependant, je doute qu’elle puisse faire honneur à ce petit chef-d’œuvre.

Morton Rainey est un écrivain reconnu qui vient de divorcer après avoir découvert dans un motel l’adultère de sa femme. Depuis, il s’est installé dans l’ancienne résidence secondaire du couple au bord d’un lac. Il s’apprête à vivre des jours paisibles. Seulement voilà, un jour, il est surpris par l’apparition d’un quadragénaire, affublé d’un chapeau noir caractéristique, au visage qui accuse le coup d’années difficiles et à l’accent campagnard horripilant. C’est avec consternation que Morton reçoit de la part de ce dernier une accusation de plagiat. En effet, le mystérieux intrus l’accuse ouvertement de lui avoir volé l’une de ses œuvres. Morton n’en revient pas. Pourtant, derrière sa porte, gît le manuscrit qui ressemble comme deux gouttes d’eau à la nouvelle écrite par ses propres mains. La nouvelle porte le titre de Vue Imprenable sur jardin secret. Le nom de l’auteur et de celui qui, inlassablement, résonnera comme un écho au cours du récit, lui qui ne cessera alors de le tourmenter, de le traquer, de le menacer, John Shooter.

Stephen King plante le décor de sa nouvelle de façon magistrale. Et de bout en bout, il se plaît à mener en bateau le lecteur avide de connaître le fin mot de l’histoire. On pénètre la psychologie tourmentée d’un écrivain, désireux de défendre coûte que coûte la paternité de son œuvre mais aussi tracassé par les démons de sa vie privée passée. En effet, Morton n’a pas vraiment fait le deuil de son mariage et c’est avec nostalgie qu’il se remémore sa femme en train de savourer avec délectation la vue imprenable et inédite qu’elle découvrait depuis la fenêtre de la petite buanderie dans leur ancienne demeure commune, son jardin secret. La tension psychologique de l’œuvre est alimentée par des réminiscences de moments-clés, de rêves et aussi par le surgissement ponctuel d’une voix intérieure que Morton tente de combattre de toutes ses forces. Serait-elle complice de l’accusateur ? Discrète au début, celle-ci se fait de plus en plus pressante au fil de l’œuvre. Alors que dans un premier temps, King nous amène à suivre la trame du récit comme une enquête policière, peu banale cependant, dont Morton se plaît à imaginer les tenants et les aboutissants dans les moindres détails et à nous conforter dans ce schéma, il prend un malin plaisir, par l’insertion de bouleversants événements, à bousculer l’interprétation et la vision du lecteur. Ceux-ci sont amenés avec une grande minutie et on revit les scènes-clés antérieures sous une lumière dérangeante et inquiétante, doublée de l’impression de vivre une supercherie comparable à celle que vit Rainey. L’une des plus marquantes est la deuxième rencontre de Morton avec le mystérieux quadragénaire. En effet, au cours de celle-ci Morton croise une vieille connaissance, Tom, qui lui fait signe. Plus tard, ce dernier avouera qu’il est convaincu que Morton était seul ce jour-là. On est amené à se dire que celui-ci doit être victime d’hallucinations mais on est encore bien loin néanmoins d’imaginer la dimension des maux dont il est victime.
Même si l’écriture de Stephen King n’est pas toujours irréprochable, on ne peut qu’être admiratif devant une telle ingéniosité.

Bien sûr, cette œuvre nous plonge dans une perspective réflexive sur la création littéraire. En effet, Shooter, par le biais de son jeu pervers, va aller jusqu’à remettre en question ce que Morton croyait acquis, ce qui constituait les fondements de son œuvre. Ainsi, il (et le lecteur en parallèle) est amené à se demander quels sont les moyens pour un auteur de justifier la paternité de sa création ? Peut-on être sûr que celle-ci n’est pas le fruit d’un vol conscient ou inconscient d’une œuvre d’un comparse ? A plus forte raison, les idées appartiennent-ils à quelqu’un ou sont-elles une source commune de laquelle puisent tous les artistes ? Ces interrogations, qui pourraient paraître distantes pour le commun des mortels, deviennent vitales pour l’auteur ; elles régissent sa propre identité.
A travers ce procédé, Stephen King semble vouloir exorciser ses propres craintes (tout comme Misery paru à la même époque de sa vie). D’ailleurs, on peut voir de notables points communs entre Morton Rainey et lui-même. Tout d’abord, il est originaire du Maine comme lui. Il a à peu près le même âge. Sa premières œuvre In a Half-World of Terror a été publiée dans un magazines ( la nouvelle de Morton pour laquelle il est accusé de plagiat est justement paru dans un magazine deux ans avant la date à laquelle Shooter admet avoir publié sa propre nouvelle).Aussi, l’anecdote du manuscrit de la nouvelle de Shooter repêchée dans la poubelle par sa servante n’évoque-t-elle pas les circonstances de l’élaboration de Carrie quand sa femme retira son manuscrit bafoué de la poubelle, le lit et le pousse ensuite à poursuivre son œuvre.
On peut rester perplexe devant l’importance que jouera ce petit détail dans la vie de l’homme.

Même si on peut ne pas apprécier le style Stephen King et que toute son œuvre est de qualité fort inégale, force est de constater que ce petit chef-d’œuvre, qui mérite assurément d’être moins méconnu, est une preuve qu’il a de la suite dans les idées et qu’il sait captiver le lecteur avec maestria. Pour le coup, on pourrait dire : « chapeau bas (noir) » !

>Vue imprenable sur jardin secret est paru en France couplé avec Les Langoliers (que je n’ai pas lu) sous le titre Minuit 2 aux éditions Albin Michel(1991) dans une très bonne traduction de William Olivier DESMOND

2 commentaires:

A_girl_from_earth a dit…

Aaah Stephen King!! Je dois dire que j'ai été assez étonnée de le trouver sur les étagères de la taverne (qui comprend bien plus d'auteurs que je ne connais pas que l'inverse).

J'ai été une fan de ses livres jusqu'à il y a 10 ans à peu près où il a commencé à écrire des livres qui m'ont laissée assez perplexe.

Je n'ai pas lu cette nouvelle par contre il me semble qu'elle a été adaptée au ciné sous le titre Fenêtre secrète avec Johnny Depp. Je n'ai pas un très bon souvenir de ce film mais je veux bien croire que la nouvelle est autrement plus intéressante, comme c'est souvent le cas avec les adaptations de livres (ceux de S King en particulier - à part Misery dont j'ai adoré le film).
Bon, du coup je note, des fois ça me manque un bon vieux Stephen King!

edwood a dit…

A girl(puis-je vous appeler par votre prénom?)

Le fait de se délecter d'oeuvres méconnues n'exclut pas pour autant l'envie de fureter auprès d'auteurs plus "grand public". L'incursion Stephen King m'a apporté un sentiment contrasté, à savoir la jouissance d'idées souvent très lumineuses mais, hélas, assez mal desservies par l'écriture que je trouve trop spontanée, trop directe. Elle ne transmet pas le souffle de magie que j'attends d'un livre.

En ce qui concerne ce titre, il m'a été glissé à l'oreille par Jérôme Lafargue dans L'Ami butler et ma curiosité a été attisée.
C'est une oeuvre très intéressante dans le domaine de la réflexion sur la création mais qui pêche quelque peu dans le style. Vous pouvez vous concentrer sur l'Ami Butler.

L'adaptation cinématographique dont vous faîtes allusion est de David Koepp et porte bien le titre Fenêtre secrète en français. Je l'ai vue il y a peu.Le mystère de l'oeuvre originale disparait grandement dans sa version cinématographique et je ne la recommande point.

Misery, en effet, est une adaptation d'une toute autre dimension. Je pense aussi qu'adapter un livre au cinéma est un exercice de style très périlleux rarement réussi.