samedi 19 avril 2008

LECTEUR SUISSE: VACHE A LAIT?


Le livre coûte entre 25 et 40% plus cher en Suisse que chez nos voisins français. Comment expliquer une telle différence?
Tout d'abord, il faut savoir qu'en France, les éditeurs sont eux-mêmes diffuseurs de leurs propres livres. Ici, en Suisse, où la grande majorité des livres sont édités à l'étranger (surtout en France), on fait appel à une sorte de grossiste. Sa présence dans le circuit de distribution se fait ressentir au niveau de la majoration du prix français, une marge, dite "tabelle" ou "tabelle de conversion", qui serait justifiée par les distributeurs par le délai très court proposé au lecteur pour pouvoir récupérer l'ouvrage commandé auprès de lui. En effet, ce surplus correspondrait au coût de stockage dû au grossiste qui permet de raccourcir les délais de livraison.

Si l'on prend le cas d'un livre édité par une maison assez répandue sur le marché (type Flammarion, Galimard par exemples) mais pas en stock, le délai proposé est alors de trois à cinq jours. Objectivement, une telle différence de prix est-elle justifiée?

Pour un titre très médiatisé,qui trône fièrement en tête de gondole des plus grands distributeurs, il y a aussi une différence de prix notable alors qu'ils bénéficient d'un large stock disponible en magasin et que donc, la nécessité de faire appel aux diffuseurs est beaucoup plus douteuse. Cependant, le prix peut être moins élevé pour les succès commerciaux programmés (Harry Potter par exemple) car ici, contrairement à la France, aucune loi n'impose un prix fixe au livre. Pour tester la flexibilité du marché, j'ai pu négocier de 10% le prix d'achat au livre(sur une commande groupée d'au moins quatre livres). Le livre ressemble alors à s'y méprendre à un pur produit de consommation. Le livre, produit culturel avez-vous dit? Cette loi a le mérite de protéger un tant soit peu les librairies indépendantes au profit des gros distributeurs implantés un peu partout en Europe. En Suède, lorsque cette loi a été annulée, le secteur du livre était désorienté.
Le parlement européen envisageait un temps d'obliger tous les pays de l'Union à adopter cette loi commune. Le traité de Rome, déjà signé, s'opposait à cette loi qui va à l'encontre de celles de libre-concurrence. La logique commerciale a eu raison du marché du livre en Europe où chaque pays est libre d'imposer ou non cette loi. A Lausanne, comme un peu partout, les librairies indépendantes ont disparu comme neige au soleil : les librairies Reymond, L’Age d’Homme, les Ecrivains, Forum, Artou ne font plus partie du décor de la ville vaudoise. Avant-hier, la Fnac voyait l'ouverture de ses portes pour la première fois en Suisse Alémanique, à Bale.

Mais en est-il de même pour tous les titres? Il faut savoir que dans le monde de la littérature, il existe une très large majorité d'ouvrages à tirage réduit absents des présentoirs, disponibles sur commande uniquement et issus de maisons d'édition indépendantes
Ainsi, si je prends un exemple, lorsque j'ai voulu me procurer le roman La Taverne du doge Loredan édité par Anacharsis, une petite maison d'édition toulousaine, il y a de cela un an, je me suis rendu compte qu'aucun distributeur lausannois ne l'avait en stock. Je voulais le commander. Que ce soit les deux gros distributeurs ou la librairie, le délai et le prix étaient sensiblement le même. Je devais attendre entre trois semaines et un mois pour un prix de 40CHF(envrion 25€). Dans le cas présent, on doit subir tous les inconvénients: à la fois le prix et le délai démesurés.
Mais alors pourquoi payer si cher dans ce cas alors qu'ici encore, le grossiste semble être absent du circuit de distribution? Pour ma part, j'ai fait mon choix; j'ai préféré commander mon livre chez Lekti (distributeur de libraires indépendants en France) pour le même prix (ports compris) et ai reçu le sésame en moins d'une semaine.

L'absence de loi permettant de réguler le marché, associée aux délais démesurés pour les titres les plus confidentiels et le prix de vente majoré finissent de condamner les libraires indépendants et réduire dangereusement la marge de manoeuvre des ouvrages confidentiels (et donc des petites maisons d'édition) déjà bien réduite, sans ces conditions précaires, en France.

Par ailleurs, la TVA sur les livres en Suisse est de 2.4% contre 5.5% en France, donc cela devrait engendrer une baisse relative du prix de vente du livre et compenser les frais de livraison plus importants. De plus, en Belgique par exemple, où la situation est proche (même au niveau de la pluralité des langues plus rares encore en Belgique) de celle chez nous, le prix du livre n'est en moyenne que 10% plus élevé qu'en France. Mais alors, d'où vient une telle différence de prix d'un pays à l'autre si les raisons invoquées sont si bancales? Il semblerait que ce soit bel et bien les distributeurs qui engrangent cette différence de façon conséquente en profitant du coût de la vie plus élevé dans notre pays. On peut décemment se demander si ces distributeurs pensent raisonnablement se faire de l'argent dans le dos des lecteurs suisses sans que ce dernier s'en rende compte et accepte ce prix démesuré. Quand on voit le prix d'un livre approcher dangereusement celui des produits de luxe(comme le parfum de marque), on se pose naturellement des questions. A l'heure d'internet, les possibilités sont vastes et l'offre ne manque pas. De plus, la Suisse est un petit pays dont de nombreux cantons ne sont guère éloignés de la France. Du coup, bon nombre de ses habitants font régulièrement des passages en France, pendant lesquels ils peuvent se procurer leurs livres. Résultat, encore moins de clients potentiels dans les librairies suisses. Encore une fois, les disparités vont s'accroître aussi à plusieurs niveaux. Chez les lecteurs potentiels d'abord. Les plus riches pourront, sans sourciller, acheter sans compter tandis que les plus modestes hésiteront à deux fois avant de céder à la tentation. Quant aux nouvelles générations, quand on sait qu'ici, un DVD est presque dans tous les cas moins cher qu'un livre (grand format), vers quel média culturel vont-ils se tourner de prime abord?
Victimes de l'ombre, les livres à faible tirage puisqu'on s'aperçoit que les livres qui bénéficient des meilleures conditions de distribution sont en premier lieu les best-sellers et ce au détriment des moins plébiscités

N'est-il pas dérangeant de payer aussi cher son livre en Suisse, et davantage encore lorsque l'on que le lecteur devient plus que jamais une vache à lait?J'achetais encore jusqu'à aujourd'hui quelques livres en Suisse. Désormais, informé des aberrations mercantiles qui ont lieu dans le réseau de distribution, que devrais-je faire? La littérature accessible au plus grand nombre, une utopie définitivement abandonnée ici ?
Heureusement, ici à Lausanne, il reste le réseau de bibliothèques très dense...



4 commentaires:

Anonyme a dit…

J'en reviens à ma "marotte" : vive le ebook... ;)

edwood a dit…

Certes, le e-book est plus abordable et permet de remédier aux problèmes liés au stockage et de se procurer des oeuvres épuisées en librairie.Cependant, ce média ne peut remplacer le bon vieux livre dans mon coeur. Je dois être un peu fétichiste mais j'aime palper l'histoire que je suis en train de lire^^. De plus, certaines personnes n'ont pas d'ordinateur à disposition(espèce balbutiante en voie de disparition).
Ceci dit, en moyenne, un e-book est-il beaucoup plus économique qu'un livre sur le marché français?

Anonyme a dit…

Je suis bien d'accord avec toi Edwood, impossible pour moi de lire un e-books, j'aime trop pouvoir sentir palper toucher mon livre !
Et puis quel plaisir de lire des pages douces ou quelle précaution pour lire du papier bible :)

Pour en revenir à ton article, sache qu'au Québec, ils ont le même problème puisque tous les livres en français viennent du vieux continent. Donc quand j'ai vu le prix des livres qui prenaient environ 25% avec la traversée, j'ai préféré me faire envoyer des livres par colis interposés ... Heureusement depuis je suis revenue en France où je peux dévaliser nombre de librairies à ma guise!

edwood a dit…

Bienvenue à la taverne Kaly!
Le e-book n'est pas un média qui me plait. Je préfère encore payer plus cher et avoir un vrai livre entre les mains.

La Suisse n'est pas le seul pays dans ce cas mais il doit s'agir l'un de ceux dont les lecteurs sont les plus lésés.
Ce qui me dérange le plus, ce n'est pas tant la différence de prix avec la France que la non-justification de celle-ci.