Julián Ríos est né en Espagne en 1941. Cortège des ombres est un ensemble de textes qu'il a conçu à la fin des années 1960, comme sa première oeuvre. Bien que reconnues séparément par leur qualité, ces nouvelles n'avaient jamais connues de parution dans leur ensemble jusqu'à l'édition simultanée en 2008 à la fois en Espagne et en France(chez les éditions Tristram).
C'est un écrivain connu pour son cycle Larva(paru en France chez Corti), dont l'écriture inventive a été maintes fois saluée par ses pairs. C'est aussi un homme pour qui l'écriture constitue une raison de vivre.
D'ailleurs à la question “Pourquoi écrivez-vous ?, posée par le journal Libération à des écrivains du monde entier, Ríos répondait : “Pour moi, écrire, c’est escrivivir. Je crois que ce mot-valise qui contient et fusionne écrire (escribir) et vivre (vivir), et qui a été inventé par le personnage principal de mon roman Larva, permet de donner une explication personnelle de ma raison d’écrire. Ce qui est sûr, c’est qu’écrire est pour moi un art de vivre, plus vrai que nature, une manière de vivre plus intensément.”
Les habitants de Tamoga, bourgade côtière imaginaire, à la frontière du Portugal, ne sont plus que des silhouettes évanescentes, constituant un cortège d'ombres.
En quelques lignes seulement, Julián Ríos est capable de camper les lieux et son atmosphère troublante:
"Tout ceci survint à la fin du mois de septembre, alors que commençait à s'insinuer la léthargie automnale, que les heures déjà s'écoulaient plus lentes, et que le temps semblait se mettre en stagnation comme les tristes eaux des marécages de Tamoga."
Tout au long de neuf nouvelles, les villageois tentent de reconstituer à tatons la mémoire évanouie de leurs concitoyens. Cette oeuvre morcelée présente l'étrangeté de nous faire comprendre en amont la fin tragique de ces personnages. Toutefois, n'allez pas croire que J.Rios ne sait pas pour autant surprendre son lecteur. Au contraire, à l'ultime minute, il est capable de le dérouter, en rappelant les fins macabres d'Edgar Allan Poe, comme dans le neuvième texte qui clot ce livre, intitulé Le Fleuve sans rive, lauréat du de La Hucha de Plata de la nouvelle en 1970.
Grâce à une habilité dont il a le secret, J.Ríos semble suspendre le temps quand vient poindre l'heure de la mort. Le parcours tortueux de ces personnages, semé d'histoires d'amour, d'argent, de trahison, de vengeance, au coeur d'une période trouble de l'Espagne qu'est le franquisme (à une époque où la vie communautaire était beaucoup plus prépondérante que de nos jours) nous est alors dévoilé par voix interposées, par le biais d'un ultime souvenir ou- plus étonnant encore- dans la remarquable nouvelle Deuxième Personne(aussi primée par le prix Gabriel Miró) d'un voyage spatio-temporel s'apparentant à l'ubiquité. Ce choeur de témoignages s'entremêlent pour prendre une dimension onirique donnant lieu à une mise en abîme funèbre, souvent interrompue de façon brutale, comme par un coup de fusil retentissant au coeur de la nuit.
Ainsi, par son réalisme implacable, son sens du détail et de l'ambiance sombre et mystérieuse, J.Ríos écrit dans un style qui rappelle quelque peu Juan Rulfo ou certains des grands conteurs français du XIXème siècle comme Villiers de l'Isle-Adam(pensez à ses contes cruels) ou Maupassant.
Un livre singulier et poétique que ce Cortège des Ombres que je ne saurais trop conseiller de découvrir.
vendredi 10 octobre 2008
Cortège des ombres de Julián Ríos ou le bal des fantômes
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
2 commentaires:
Merci, c'est toujours très gentil d'être ainsi cité. Je n'(avais pas pensé à Maupassant en lisant ce livre. A méditer...
Vous ai-je dit que j'avais également lu La Vie pétrifiée pour le Magazine des Livres, un magnifique roman, très sobre et en même temps un peu fou...
Bonjour Anne-Sophie,
Merci à vous de m'avoir fait découvrir Cortège des ombres. Je pense me penser prochainement sur Larva.
La Vie Pétrifiée fait aussi partie de mes coups de coeur du moment pour son langage musicale et rempli d'images évocatrices. Après la disette, les lectures qui me charment arrivent en abondance.
Enregistrer un commentaire