mercredi 10 décembre 2008

LE VEILLEUR DU JOUR, jeu de pistes intriguantes à Terrèbre

Après les Jardins statuaires qui m'ont bercé durant les jours gris de novembre, j'ai naturellement poursuivi la découverte du cycle des contrées de Jacques Abeille avec Le Veilleur du jour.
Barthélemy Lécriveur, forestier d'origine, rejoint Terrèbre, cette cité portuaire, capitale de l'Empire, aux allures bordelaises d'une époque révolue, pour dénicher un poste de marin. Essuyant refus après refus, il trouve refuge dans une auberge mal famée du quartier portuaire. Ses déambulations nocturnes lui permettent de faire connaissance des contrastes entre les différents quartiers qui animent la ville. Progressivement, une relation se noue avec la servante de l'auberge, Zoé. C'est par son intermédiaire qu'il se verra proposer un poste pour le moins incongru, veilleur de jour dans un entrepôt en ruine, au sein duquel il devra attendre la venue d'un inconnu.

Si dans un premier temps, l'arrivée dans la capitale de l'empire reprend le souffle d'odyssée insufflé par les Jardins statuaires, la suite surprend par bien des aspects.
Tout d'abord, un certaine distance s'établit entre le lecteur et le personnage principal. Par le biais d'une narration à la troisième personne, l'approche des personnages de cette aventure(presque tous nommés cette fois-ci) et la découverte des enjeux qui les tissent les uns les autres se font sans accrocs.
Ainsi, le lecteur devance les personnages dans la découverte des éléments constitutifs de ce puzzle fascinant aux facettes multiples.
Avant d'arriver au terme de cette enquête, il faudra sonder les profondeurs de cette ville qui recèle bien des secrets, incarnés par cet entrepôt énigmatique. Ce dernier s'apparente à un temple recélant son lot de chambres secrètes dont l'accès est révélé par le biais de mécanismes dissimulés. L' agencement, la géométrie, la lumière de celles-ci confèrent une âme à l'ensemble de l'édifice avec lequel le veilleur a l'impression de s'unir au fur et à mesure de ses recherches, jusqu'à se confondre avec ce monstre minéral.


Des symboles métaphoriques s'inscrivent discrètement au sein de ce dernier. Est-ce un hasard si l'on peut dénombrer le même nombre de chambres que d'arcanes majeurs dans le tarot divinatoire de Marseille?
Si l'entrepôt est une cachette animée enfouie au coeur de la ville, aux fenêtres ignorées sur celle-ci, le cimetière qui le jouxte est observable depuis les points hauts avoisinants. Il deviendra l'aimant qui attirera les personnages-clés de cette intrigue vers le veilleur. De Coralie, cette fille empreinte de mystère, portant son masque de bois, au chancelier despotique, en passant par le sage professeur Destrefonds et l'enquêteur Malavoine, un cercle tortueux dresse les personnages autour de Barthélemy.

L'histoire du veilleur est elle aussi insaisissable. Des pages essentielles de son histoire demeurent tronquées. Quelle en est l'origine? Amnésie, falsification? Porteur d'un passé trouble marqué par des rites sauvages, le veilleur est à la recherche d'une identité. Les failles qui lézardent l'entrepôt ne sont-elles pas révélatrices des éléments éparses de sa vie qui restent à relier entre eux? Par l'intermédiaire de Barthélemy Lécriveur, Jacques Abeille tenterait-il d'exorciser son passé? De troubler le lecteur par des coïncidences dérangeantes? Rien n'est moins sûr dans ce récit qui s'apparente pour ainsi dire au caractère que représente le livre aux yeux de Coralie, " le tissu, c'est-à-dire les irrégularités, les accrocs, les blancs, l'entremaille, et, pour tout dire, le vide qui en fait la qualité, la souplesse et la caresse".

Au coeur du récit, l'amour permet à Jacques Abeille de féconder des scènes particulièrement évocatrices. Gommant les dialogues superflus, il esquisse un ballet obscur, silencieux, hors du temps. Sous sa plume, les corps enlacés dévoilent une alchimie non seulement entre eux mais avec les lieux qu'ils occupent, des ténèbres interdites de l'auberge, aux chambres secrètes de l'entrepôt, en passant par les plages dénudées de la côte.

Encore une fois, Jacques Abeille, signe une oeuvre inclassable et intemporelle, dont la relecture semble être essentielle.
Il a su distiller avec beaucoup de subtilité et de parcimonie les allusions au Jardins statuaires, en sachant tout de même s'en détacher habilement. Si cette dernière oeuvre témoignait de ses mystères en surface, Le Veilleur du Jour les enfouit au plus profond. Tel un prisme aux différentes facettes, ce livre éclaire le lecteur par la lueur à peine perceptible des images que renvoit la plume onirique, picturale et poétique de son auteur.



2 commentaires:

Anonyme a dit…

Cher Edwood,
Vous livrez encore une fois un très bel article sur Jacques Abeille. Continuez à nous parler du "Cycle des contrées". Je fais le pari que vous êtes déjà plongé dans l'opus suivant ;-)
Bien cordialement,
Irma Vep

edwood a dit…

Merci Irma pour vos éloges renouvelées. Vous ne croyez pas si bien dire car j'arrive très bientôt au terme de Les Voyages du fils, beaucoup plus court que les précédents tomes du cycle, et tellement passionnant.
J'en reparle plus longuement cette semaine si tout va bien.
Salutations.