vendredi 5 mars 2010

Adalina, on n'échappe pas à son passé



Adalina, un nom faisant remonter à la surface du récit une myriade de souvenirs.

Une invitation à embarquer dans le premier train qui vient pour revenir aux sources, de Berlin aux montagnes de la Suisse romanche, dans un village, où l'on parle encore un dialecte en voie de disparition.
Des regards complices, des décollages depuis les crêtes, porté par les ailes du plaisir. Avec Adalina à portée de bras, Johannes Maculin en oublierait presque les nuages qui planent au-dessus de leurs têtes. Quand on est aveuglé par les beaux yeux d'Adalina, les coups de foudre ne font guère peur, surtout quand on s'appelle Johannes Maculin, que l'on a une quinzaine d'années et que l'on nage dans un amour immaculé.

Adalina, comme un fruit défendu.

Être amoureux de sa cousine n'est jamais vu d'un bon oeil par la famille, surtout quand celle-ci applique avec implacabilité les méthodes traditionnelles de dissuasion, interdictions, menaces, ou pire actes destructeurs auxquels le jeune Maculin assiste impuissant.
D'incessants va-et-vient entre un présent oppressant et une enfance tourmentée par la cruauté, Johannes Maculin se souvient. Il se rappelle de son anormalité physiologique pointée du doigt par ses camarades de classes, comme un handicap insurmontable. Il se remémore sa lutte pour s'alléger d'un fardeau, duquel il ne peut parler avec personne. Un face à face avec lui-même, avec sa peine, c'est un peu de cela le roman de Silvio Huonder. Une blessure jamais refermée, qu'on espère cicatriser en se plongeant à l'intérieur.





Adalina, comme une invocation d'un paradis perdu.

Dans la chanson de Brel, il y a Frida. Dans le roman de Huonder, il y a Adalina, le rayon de soleil qui illumine les pages sombres de l'oeuvre. Se rapprocher d'elle est un besoin viscéral.
Dans le monde actuel, nauséabond, Johannes Maculin est prisonnier de son passé, malgré lui aussi. Il retrouve Marina, celle qui avait la réputation d'être une fille facile à l'époque où il était encore gosse. Ils prennent un taxi alors que la pluie est évacuée par les essuie-glace du véhicule. La pluie se déverse, se renverse, revient, goutte à goutte. Elle est le reflet d'un passé qui s'abat à la face de Johannes, de son flux et reflux. Le chauffeur jette à intervalles réguliers des coups d'oeil dans le rétroviseur. Il aperçoit les amants d'un soir qui se caressent, et ce sont les amoureux d'hier qui ressurgissent derrière les bris de verre, ceux qui éclatent dans les souvenirs de Johannes. Tout nous ramène à ce passage où Johannes demande, surpris au vicaire:
"Pourquoi, dit-il, toutes les images ont-elles disparu.
Pas disparu, dit le vicaire poliment, on a juste peint par-dessus. Tout est toujours là, sous la peinture blanche, tout est toujours là, dit le vicaire qui l'a réveillé, et d'un regard plein de sollicitude, il lui demande pardon."

Adalina est chargé de symboles, d'images entêtantes, qui ne demandent qu'à être dévoilées.
L'écriture de Huonder est précise, presque chirurgicale. Les ruptures de rythme dans la narration sont d'une violence déconcertante dans un premier temps. Cependant, elles donnent à voir l'ampleur du contraste que ressent Maculin, voyageur basculant incessamment entre présent et passé.
A imaginer le désastre au coeur d'Adalina. On le devine, on le perçoit, on l'approche par vagues successives qui le font refluer vers nous et Johannes, mais la brume demeure tenace, et tarde à se dissiper complètement.
Adalina, Adalina, Adalina, comme un appel à travers les âges et l'écho d'une douleur obsédante.




1 commentaire:

Anne-Françoise a dit…

Magnifique chronique, je n'avais pas encore eu l'occasion de te le dire. Silvio Huonder réussit l'exploit de raviver des thèmes romanesques éternels et presque ressassés dans ce texte original, beau, poétique, doux et violent. Un peu comme si Nabokov avait perdu de son exquise politesse, s'était laissé aller à plus de spontanéité, à une certaine violence même... Adalina, Ada, la cousine aimée... Mais au soleil du Vineland s'est substituée la pluie des Grisons, une averse qui, périodiquement, tente de chasser le mal sans y parvenir.
Comme tu le suggères, c'est effectivement un roman de l'impossibilité du bonheur et de l'oubli; j'aime aussi cette figure de l'ange qui l'encadre, chargé d'une symbolique paradoxale.