vendredi 2 juillet 2010

La Somdolence de Martha



« Cachons-nous et attendons... »
Jean-pierre Martinet est né à Libourne en 1944. Son premier roman, La Somnolence, a vu le jour en 1975. Salué par la critique, nourrissant malgré tout quelques réticences à cause de sa noirceur, le récit halluciné, toujours alerte, de Martha annonce les péripéties à venir de Jérôme. Avec une fulgurance, rarement atteinte pour un premier roman. Finitude nous propose de (re)découvrir La Somnolence que Pascal Pia, lecteur exigeant, qualifiait de « prodigieusement active », soulignant que: « La composition d'un tel ouvrage implique une intelligence aiguë de la création littéraire. »

Martha croule sous le poids de sa solitude, mais conserve une énergie indomptable. D'années, elle en compte 76. D'après un calcul basé sur l'absorption quasi-métronomique d'une rasade de whisky. De quoi tenir debout, toujours et encore, de laver les affronts incessants qui déferlent sur elle.
A la tête de l'Organisation qui s'entête à la souiller, il y celui, à qui elle, Martha, s'adresse à la deuxième personne du pluriel. Amant du bon vieux temps, profiteur de première, ingrat de service, malgré les maigres indices distillés ici ou là, on ignore l'identité précise de cet homme omniprésent, et pourtant désespérément absent. Offensée, Martha refuse de sortir de chez elle, de peur d'affronter les jeunes filles rousses et autres chimères qui sont chargées d'acculer la vieille femme dans ses derniers retranchements.

Dehors l'orage gronde,
l'air est saturé,
pas un souffle,
pas le moindre répit,
la suffocation,
la conspiration,
l'insupportable,
l'intolérable,
la société,
sa tempête
et ses bassesses,
avilissante,
repoussante,
croupissante.
Et Martha,
subissante,
insoumise.
Et à ses côtés
Dieu tout-puissant .

Pour obtenir la clémence des cieux, Martha confectionne tous les soirs, au seuil de son sommeil, son ultime réconfort, un cercle composé de quatre fruits confits rouges et de trois verts, précieusement conservés dans une boîte fermée à clé. Avec sa bible, son crucifix, le portrait du pasteur et sa bouteille de whisky, il s'agit de ses derniers compagnons d'infortune.
Le pasteur, le père de Martha, jadis pendu à son cèdre fétiche, semble désormais être suspendu aux lèvres de sa fille, à chacun de ses parjures. De droite à gauche, de gauche à droite, son mouvement de balancier, son va-et-vient post-mortem contamine la narration hallucinée, lancinante de Martha. Et ce refrain aussi, ce chant contre tes morts, cette oraison funèbre, déclamés par la Malibran qui reviennent, entêtants, envoûtants:

« Be not afeard-the isle is full of noises,
Sounds, and sweet airs, that give delight and hurt not
Sometimes a thousand twangling instruments
Will hum about mine ears; and sometimes voices... »
L'humour et la noirceur se côtoient à chaque instant, cocktail détonnant qui insuffle au récit une énergie proprement sidérante.
D'un bout à l'autre du roman, les pensées de Martha s'enchaînent, sans répit, dans un tumulte absolument étourdissant.
Martha soliloque, entourée d'une galeries de personnages fantomatiques, qui s'immiscent dans la ronde. Les dialogues ne ressemblent guère plus qu'à des monologues échoués, les monologues, quant à eux, s'apparentent à des dialogues déchues. A des ritournelles blasphématoires. Martha parviendra-t-elle à s'échapper, à se glisser par delà l'enceinte, à s'extraire de sa propre prison? A entrevoir une éclaircie? A renaître?

« Monde atroce, torturant, trop étroit pour mon coeur, baraque de foire, lieu de honte... »

ainsi s'exprimait le pasteur, ou l'inconscient de Martha dans son inconstance, dans sa somnolence?




2 commentaires:

Nikola... a dit…

Merci pour ce bel article, Edwood. Je vois que tu as passé un bien agréable moment en compagnie de cette fichue Martha et de sa bouteille de whisky. On peut le dire: La Somnolence est une sacrée entrée en littérature. Martinet n'allait plus finir, ensuite, de sombrer dans la noirceur pour en faire jaillir les éclats qu'on sait et dont Jérôme est certainement l'acmé.
Amitiés,
Nikola...

edwood a dit…

Martha et sa logorrhée m'a noyé-que dis-je- m'a littéralement rendu ivre.
Martelés, ses mots m'ont transformé en Martha Krühl.
Depuis, je divague, je cherche mes mots, et ma bouteille de whisky.
Je parle tout seul, je crache à la figure du quidam qui me regarde de travers, je le cloue sur place.
J'insulte les martinets et les pigeons voyageurs.
Les jeunes filles rousses grêlées de tâches de rousseur, je te rassure, ne sont pas en reste, loin s'en faut.