samedi 12 mars 2011

Avatar, un autre visage de Théophile Gautier




Si l'on cite volontiers les nouvelles et autres contes fantastiques, ainsi que Le Roman de la momie et Capitaine Fracasse, afin d'illustrer la bibliographie de Théophile Gautier, celle-ci recèle tout de même des pièces méconnues qui méritent que l'on s'y attarde tout autant que ses oeuvres les plus fameuses.
En fin d'année 2010, nous avons eu la chance que de jeunes maison d'édition entreprennent de faire redécouvrir deux d'entre elles, La comédie de la mort( Le Chat rouge), initialement parue en 1838, étrange roman en vers, et Avatar( qui n'a absolument rien à voir avec le film homonyme) qui elle a vu le jour en 1856, et dont je vais maintenant parler.

Avatar évoque une sorte d'alchimie entre la passion typiquement romantique qui prédomine dans les pages de bon nombres d'oeuvres qu'on trouve au XIXème siècle en France avec ses descriptions flamboyantes et abondantes, la tentation de céder aux mains du diable qui renvoie explicitement au mythe de Faust ou au Diable amoureux de Cazotte, et une fascination pour les expériences inspirées des pratiques venant de contrées exotiques, incarnée par le thaumaturge Balthazar Cherbonneau, dont le contraste frappant entre le patronyme et le prénom pût plaire à un certain Jean-Pierre Martinet. Le savant a non seulement ramené de l'Inde qu'il a fréquenté assidûment son penchant pour les expériences aux frontières de la vie et de la mort, mais aussi son insatiable besoin de touffeur dont il s'efforce d'envelopper son appartement parisien afin d'y créer le climat propice à l'invitation des divinités indiennes. Tout comme Octave de Saville représente l'archétype de l'amant éconduit, la comtesse Labinska symbolise la beauté idéale, inaccessible et mystérieuse, le docteur Cherbonneau, lui, représente une sorte de parodie du scientifique ivre d'expériences défiant les limites de la science, et dont les passes dissimulent mal une sorte de charlatanisme. Si cet air de déjà vu aurait pu ailleurs sembler quelque peu horripilant, ici Théophile Gautier s'ingénie à glisser une pléthore de références afin de démystifier le récit qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler le ton plus ouvertement caricatural de Bellin de La Liborlière dans La nuit anglaise ( proposé chez Anacharsisqui s'éteignit quelques dix années avant la naissance d'Avatar.
Dans Smarra ou Les démons de la nuit de Charles Nodier paru en 1821, nous assistions déjà à une situation rappelant la métempsychose, puisque Lorenzo, le héros du récit, croit soudainement s'immerger dans la peau de Lucius en Thessalie.
Loin de se prendre au sérieux, le natif de Tarbes multiplie les clins d'oeil et les interventions incongrues dès lors qu'il s'agit d'identifier les deux protagonistes rivaux qui se sont échangés leur enveloppe corporelle. Peu à peu, l'enjeu mystico-gothique se transmue au fil des pages en jeu de rôles burlesque. Ainsi, les diverses réactions des proches, le diagnostic du docteur devant l'incompréhension du comte, l'oubli d'une langue maternelle, ou la réception de lettres à soit-même adressées participent au pastiche concocté avec un art redoutable de l'auto-dérision:
« Ah çà, il paraît, se dit le comte, que l'Octave de Saville dont j'occupe la peau bien contre mon gré existe réellement; ce n'est point un être fantastique, un personnage d'Achim Arnim ou de Clément Brentano: il a un appartement, des amis, un notaire, des rentes à émarger, tout ce qui constitue l'état civil d'un gentleman. Il me semble bien cependant que je suis le comte Olaf Labinski. » 
S'instaure parallèlement une réflexion sur ce qui caractérise chacun d'entre nous puisque la majorité des proches du comte et d'Octave ne se rendent pas compte des particularités étranges de l'âme qui demeure au sein de celui qu'ils côtoient au quotidien. Le corps éclipse les qualités constituant l'essence de l'être allant jusqu'à contraindre son possesseur à reproduire les penchants et les inclinations de l'ancien locataire de leur nouvelle enveloppe corporelle.
Hélas, l'unique personne qui importe pour Octave sera aussi la seule à se douter de la supercherie élaborée conjointement par le docteur et lui. 
"Le concours des deux âmes a déposé ce germe mixte dans un corps qui lui-même offre à la vue deux portions similaires reproduites dans tous les organes de sa structure. Les Orientaux ont vu là deux ennemis: le bon et le mauvais génie. Suis-je le bon? Suis-je le mauvais? me disais-je. En tout cas, l’autre m’est hostile… […] Attachés au même corps tous les deux par une affinité matérielle, peut-être l’un est-il promis à la gloire et au bonheur, l’autre à l’anéantissement ou à la souffrance éternelle?"( Aurélia, Gérard De Nerval) 

Psyché et l'amour, sculpture d'Antonio Canova(1793)

Un an avant la parution d'Avatar, Gérard de Nerval écrivait Aurélia qui ne manque pas de frapper par la similitude des thématiques abordées. On ne manquera pas non plus de noter que les deux oeuvres se déroulent pareillement à Paris, même si la situation spatio-temporelle du récit semble au fur et à mesure se déliter. Il y a également chez l'un et l'autre une confusion mise en perspective entre l'état maladif du personnage principal et l'environnement insaisissable dans lequel il se retrouve plongé. Dès lors, comme le suggère le docteur Charbonneau au comte, on peut décemment s'interroger sur la raison d'un homme confronté à des situations aussi abracadabrantes. Gérard de Nerval déclarait qu'il voulait par l'intermédiaire d'Aurélia «transcrire les impressions d’une longue maladie qui s’est passée tout entière dans les mystères de [son] esprit».
Cependant, malgré les accusations de plagiat que l'on peut formuler à l'encontre d'Avatar, comme le souligne si bien avec une malice absolument délectable Théophile Gautier, le destin d'Octave est unique puisque:
"Les historiens fantastiques de Pierre Schlemihl et de la Nuit de Saint-Sylvestre lui revinrent en mémoire; mais les personnages de La Motte-Fouqué et d'Hoffmann n'avaient perdu, l'un que son ombre, l'autre que son reflet; et si cette privation bizarre d'une projection que tout le monde possède inspirait des soupçons inquiétants, personne du moins ne leur niait qu'ils ne fussent eux-mêmes. » 








Aucun commentaire: