vendredi 17 octobre 2008

La Véranda de Robert Alexis, poésie intemporelle


La vie de Robert Alexis est un mystère en soi. D'ailleurs, ce n'est pas un hasard si d'aucuns ont même l'audace de supputer que cet admirateur de la discrétion de B.Traven utiliserait un pseudonyme pour passer totalement incognito.
Le manque d'informations à son égard inviterait presque le lecteur à songer qu'il s'agit d'un auteur disparu. Autant dire que ce n'est pas son écriture, ayant l'élégance surannée d'antan, qui pourrait remettre en question son appartenance à un siècle enfoui. Les récits mystérieux qu'il nous dévoile s'intègrent à une époque éloignée desquels émanent une nostalgie troublante.

La Véranda, paru en 2007 chez José Corti(son unique éditeur jusqu'à présent), s'inscrit dans la lignée de sa première oeuvre, La Robe, roman encensé par la critique.

Une fois encore, Alexis prend le parti d'un récit dont le coeur se déroule dans le passé. Ici, nous assistons à un voyage en train d'un vagabond anonyme, à l'orée de la mort, ayant jouit durant sa vie d'une condition aisée. Ce train, qu'il empruntait jadis, parcourt l'Europe de l'Est, de l'Autriche à la pointe Est de la Turquie, repasse par les lieux qui ont marqué sa vie, à la recherche de ces jours dont la douceur va ranimer ses souvenirs les plus vivaces. Ceux-ci, associées aux haltes du véhicule, se succèdent au fil de la marche du train, dans un rythme de plus en plus lancinant. Progressivement, les réminiscences semblent prendre de plus en plus de place, jusqu'à transformer le récit en une sorte de rêve mélancolique.



La clé de voûte de ce dernier était d'ores-et-déjà dévoilée dans le titre du roman. Cependant, la description de la découverte de ce lieu, bordé par un lac paradisiaque, doté d' "une âme féminine, retenue dans quelque loge du temps" insuffle une dimension intemporelle, quasi- fantastique au texte, accentuée par l'effet de l'Ayahuasca, cette drogue dont semble abuser l'homme.
On touche d'ailleurs ici à la principale richesse du texte. Robert Alexis donne à son écriture une grâce légère(plus que dans ses autres oeuvres) qui permet de donner l'impression de ralentir le temps, d'en cueillir ses plus subtiles beautés, d'en extraire les plus infimes variations. La nature semble réveiller tous les sens du lecteur grâce à ses descriptions ô combien pittoresques.

"Nous traversions en silence un sous-bois. Le cocher évitait avec adresse les ornières d'un chemin gâté par une pluie récente. Je sentais ma voisine, recroquevillée sur son siège, bouleversée par ce qu'elle voyait. Un écureuil sautait d'une branche à l'autre. Les feuilles, portées par le vent, s'amoncelaient au sol. Plus loin, une grive poussait son chant répétitif, le dernier avant que l'hiver ne l'obligeât à chercher un abri."
L'amour qui prendra place dans ce cadre s'inscrit dans la continuité innocente de cette proximité à la nature. Il réconfortera l'ambiance bucolique des lieux, cette insouciance qui laisse songer que rien ne saurait perturber le bien-être qui s'immisce dans la vie de cet homme. Pourtant, le caractère vagabond de ce dernier, comme un amoncellement nuageux obscur qui point au bord d'un ciel limpide, risque de compromettre le bonheur paisible promis à ce couple. Ce désenchantement, associée à ce langage poétique, n'est pas sans rappeler les grands romantiques( Byron, Lamartine pour ne citer qu'eux) pour lesquelles le bonheur ne peut perdurer. On songe également à Goethe et à son livre, Les souffrances du jeune Werther, qui a marqué des générations de lecteurs au XVIII et XIXème siècles.

Ce tournant amorcé à la moitié du récit donne au texte une direction quelque peu décevante par rapport à la première partie de l'oeuvre, qui touchait au sublime. J'ai été décontenancé par le changement de directions insaisissable que prend le voyage du personnage. Les liens profonds qui l'unissait aux lieux évoqués de façon si mystérieuse et troublante dans un premier temps, semblent se défaire et faire perdre de l'intensité narrative, qui constituait le point fort de l'oeuvre jusqu'à présent.

Malgré ce bémol, toutefois, on peut profiter d'une oeuvre au charme indéniable, qui manque si cruellement à bon nombre de livres qui font déborder les rayonnages des librairies. Ce récit intemporel en vaut largement la chandelle.
Il serait dommage de passer à côté d'un livre qui invite au voyage de si belle façon.






16 commentaires:

jg a dit…

Quel article, Edwood !
Fort bien écrit, à en épouser la sinuosité gracieuse et subtile de R.Alexis, et tout à la fois nuancé et critique.
Je partage pleinement votre opinion sur la deuxième moitié du roman. Je le tiens pour moins fort que La Robe, que j'avais lu en premier, qui m'avait donc initiée de façon quasi traumatique à la singularité de cette écriture, si maîtrisée.
La Véranda demeure un excellent roman, ravie qu'il vous ait plu.
Sympathies,

jg.

edwood a dit…

Eh bien JG, merci beaucoup pour ce commentaire fort encourageant!
Cependant, je dois dire qu'en dépit de sa deuxième moitié moins passionnante, La Véranda m'a davantage captivé que son premier roman, La Robe.
L'écriture de Robert Alexis a l'éclat d'un diamant et il excelle à nous faire voyager dans le temps et dans l'espace.
Je viens de finir son dernier roman, Les Figures, et je dois dire qu'il est beaucoup plus hermétique.
Je pense qu'une deuxième lecture s'imposera.

Salutations.

jg a dit…

Bonjour Edwood,
Quant à moi, Les Figures, je dois vous dire qu'il m'a fort déçue. Les libraires et la presse le soutiennent, plus que les précédents peut-être, mais je l'ai trouvé plus relâché au niveau du style, et même, par certains égards, un peu racoleur, comme s'il avait fait des concessions pour plaire à un plus vaste lectorat... quitte à déposer quelques unes de ses exigences qui requièrent un fort investissement à la lecture pour être comprises.
Mais enfin, il me reste, à lire, Flowerbone, dont j'attends beaucoup.

edwood a dit…

jg,
Les figures est un texte beaucoup plus torturé que les précédents de Robert Alexis. Je comprends votre réserve et la partage.
Si ce livre est davantage soutenu par la presse ou les libraires, je pense que cela vient du phénomène différé de l'appréciation de l'auteur.
En effet, beaucoup ont découvert La Robe ou La Véranda tardivement,à l'époque où Robert Alexis était encore plus méconnu, pour ne pas dire inconnu, l'ont beaucoup apprécié. Désormais, ils soutiennent l'auteur en premier lieu au travers de ses nouvelles parutions. Ce n'est qu'une hypothèse.
Quoiqu'il en soit, Les figures est un livre qui se distingue tout de même largement de la production littéraire actuelle.

Anonyme a dit…

Je viens de terminer la lecture de la La Robe, ouvrage prêté par un ami. Découverte de cet auteur et enthousiasme pour le style, l'atmosphère qui se dégage de chaque scène. Trouble et émotion. Je vais lire Les Figures mais aussi La Véranda.
Merci pour vos remarques très pertinentes!
Timo

Anonyme a dit…

L'humble voyageuse que je suis a beaucoup aimé "la véranda "où l'irréalité est abordée avec le velours d'un style à savourer comme une pipe d'opium dans le boudoir du Songe. La torpeur narrative dangereusement romantique,l'érotisme délétère ,la fantasmatique envoûtante entraine aux confins de l'impossible. C'est le plus onirique ,le plus subtil des romans de Robert Alexis .

edwood a dit…

Bienvenue à vous Hécate!

Je partage tout à fait votre impression de lecture dont vous rendez compte sur votre blog. Votre article est très riche et j'apprécie tout particulièrement l'accent qui est mis sur l'irréalité qui se dégage du roman.
J'ai aussi lu avec beaucoup d'intérêt le billet que vous avez fait sur Les figures, défendu avec beaucoup de passion je dois dire.

J'espère vous croiser prochainement ici ou ailleurs sur la toile.

Anonyme a dit…

Bonsoir Edwood et merci de cette ballade sur mon "Fil d'archal" qui est une très agréable surprise, n'étant pas revenue sur votre blog je ne découvre votre réponse qu'aujoud'hui avec plaisir. Je vous ai répondu sur mon blog de suite, du moins à propos des "Figures" de R.Alexis. Très encourageant pour moi vos commentaires pertinents car je suis sur la toile depuis peu, incitée par Nikola avec beaucoup de conviction en dépit de mes faiblesses informatiques; je tente l'aventure par amour pour les livres et les auteurs qui ont besoin d'un soutien que les médias négligent un peu, débordés par l'avalanches des sorties et plus motivés par celles s'adressant à une majorité de lecteurs. Après "La robe", et "La véranda" le saut dans l'espace-temps de "Flowerbone" déroute un peu je l'avoue. Cependant on retrouve R. Alexis dans ses thèmes favoris,l'identité,la recherche de l'âme, l'éternel recommencement de l'apprentissage malgré le progrès et... "un Grand Ordinateur riche de toute l'évolution". Plus formel, plus distancié peut-être dans son écriture, il y a aussi un clin d'oeil à tout le sens visuel, le culte de l'image(bien actuel)et une démonstration étonnante de la naissance du sentiment amoureux en dépit d'une robotisation dominante. L'éternel retour!
Un tissage du futur et du passé. Une science-fiction au plus proche de l'humain.
A lire pour qui s'intéresse à l'ensemble de l'oeuvre de R. Alexis, de ce qu'il cherche à dire, à transmettre de sa pensée, derrière le relatif anonymat de sa personne.
Voila ce que je puis vous dire avec la sincérité que je revendique dans tous mes textes du reste!
Bien amicalement cher Edwood.(Et à vous répondre également sur mon blog.)
Hécate

edwood a dit…

Merci beaucoup chère Hécate pour ces éclaircissement concernant Flowerbone, qui reste à ce jour le seul roman de Robert Alexis que je n'ai point encore découvert.
Je me suis permis de glissé le lien de votre billet à la fin du mien.
Bien cordialement.

Hécate a dit…

Merci Edwood de ce billet qui mentionne ma chronique sur le roman de Robert Alexis .
Par ailleurs,j'admire vos nombreux commentaires si diversifiés ,livres,films et si magnifiquement rédigés ! Vous donnez envie de découvrir,il me faudrait plus de temps encore pour être partout !
Hécate

edwood a dit…

Hécate, merci encore pour les compliments. Il est vrai que j'essaie de diversifier quelque peu cet espace pour apporter un peu de fraicheur.
J'ai beaucoup de projets de billets dans le domaine du cinéma. Lynch, Maddin, Bergman... pour l'heure, le respect que m'inspire leurs oeuvres m'invite à ne pas franchir le pas trop effrontément. S'ajoute à cet aspect le manque de temps chronique qui m'effraie parfois.

A ce titre, j'aimerais tant découvrir en profondeur de nombreux blogs mais je reporte trop souvent ces aventures sur la toile. Cependant, j'espère faire découvrir aux curieux un blog assez atypique au mois de mai ou juin, dans le pire des cas.

Hécate a dit…

Bonjour Edwood ,la rentrée littéraire s'orne d'un nouveau roman de Robert Alexis "U-Boot" ,une page d'Histoire,la dernière guerre telle qu'elle est rarement abordée.
Je viens d'écrire un article sur le fil d'archal,si vous avez envie d'y jeter un regard...
Bien cordialement.Hécate

edwood a dit…

Bonjour Hécate,
Tout d'abord, merci pour votre fidélité et désolé pour la réponse tardive.
Je vais jeter de façon imminente un oeil curieux à votre article consacré au dernier né de Robert Alexis.
Cordialement

Hécate a dit…

Nous ne pouvons être partout,cher Edwood et merci encore de votre commentaire élogieux sur mon fil d'archal. Certes l'équilibre est toujours difficile ,dire sans trop dire d'un roman?...C'est là le risque...
votre Hécate

Hécate a dit…

Bonjour Edwood,encore moi!...J'ai vu que "La véranda" de R.Alexis vient de sortir en collection Points.Et comme vous aviez chroniqué ce livre avant le fil d'arachal...
Bien amicalement. Hécate

edwood a dit…

Hécate, je vous remercie de tenir la taverne informée de l'actualité de Robert Alexis, un auteur qui lui tient particulièrement à coeur.
Avec mes meilleures salutations.