Première mise en bouche de ce numéro 18, La tripe c'est chic de Jean-Marc Flapp. Préliminaire chirurgical, qui nous plonge immédiatement dans le bain en nous exposant le paradoxe fondamental qui nous lie à nos entrailles. Attaché à elles pour le meilleur et surtout pour le pire, l'être humain est dans la nécessité, pour survivre, de s'en emparer, de les apprivoiser.
Dans sa continuité, nous découvrirons Petit Précis de l'entraille de Yann Dall'Aglio. Exhibées, les entrailles perdent leur nature primaire.
En vrac, dissection non exhaustive des textes qui ont marqué mon esprit de leur empreinte. Chaque pièce met généralement en scène un personnage dans une situation qui le confronte à ses entrailles, par l'intermédiaire de sa douleur, de son malaise ou de son appétit sexuel.
Lionel Fondeville a su, avec un humour assez subtile, soupesé l'embarras, Le problème majeur, que l'on peut avoir à se glisser dans l'intimité anatomique de l'autre.
Eric Dejaeger, avec Genèse de la procréation, revisite le kamasutra avec une imagination débordante.
Détricoter mes entrailles de Marlène T. dérange et met à nu la situation délicate de l'avortement, ayant recours à une écriture acérée.
Dans un autre registre, le récit poétique de Basile Rouchin, le court Adoravoration, de façon succulente, entreprend une exploration culinaire du corps adoré.
Parmi les coups de coeur de ce numéro, attardons-nous sur l'Entaille de Pierre de Tristan Felix, qui propose une pénétration assez onirique et psychologique. L'ambiguïté exacerbée du langage permet d' immiscer un doute prégnant au sujet de l'identité du corps adoré. Et, au tournant de cette courte prière latine, le mystère devient mysticisme.
Ensuite, Mula, un morceau de choix de ce numéro 18, signé Alban Orsini, qui propose chaque jour un épheméride personnel sur son blog l'Ataraxe. Au gré de ses douleurs intestinales, un homme est ballotté, tiraillé de l'intérieur, dans un taxi, aux quatre coins de la capitale française. On ne connaît pas vraiment la nature de la douleur dont il souffre, mais on comprend progressivement que ses maux sont liées, d'une façon ou d'une autre, aux tourments de son âme. Torrent impétueux irradiant son corps, Uma s'invite au creux de son ventre, au coeur de sa pénitence. Tel un poignard irradiant la douleur du personnage, avec ses répétitions lancinantes, et son impulsivitalité, l'écriture d'Alban Orsini pénètre au milieu des affres subies.
J'ai aussi été séduit par Nothing Important happened today, proposé par Rodrigue Veron, parcours parallèle autour de la fascination d'une femme pour Neige de Printemps de Mishima. Les prémices de l'acte sexuel, ses éclipses et ses ellipses parcourent ce récit. Derrière le délice de l'excitation, ressurgit l'incompréhension.
On pourrait encore citer Alban Lecuyer qui trifouille l'intimité, farfouillant les tréfonds psychologiques, les soubresauts de la domestication de son propre corps.
Jean-Marc Flapp s'illustre à nouveau avec Ventre à terre qui évoque la situation d'un homme nauséeux après une soirée bien arrosée. Le soulagement passe alors par l'expulsion d'une partie de ses entrailles et d'un face à face abjecte.
Il y a des bémols, toutefois, quelques bribes de cette revue qui m'ont moins touché. Mon ventre rose, de Milady Renoir, qui nous immerge dans la peau d'un bambin. Le texte, censé reproduire l'expression sommaire du personnage, dégluti d'une traite, m'a plutôt laissé de marbre.
D'autres texte, comme Mes abats de Cendres Lavy, m'ont aussi moins marqué, en particulier à cause d'une surenchère, d'une explosion de termes techniques relatifs aux différentes parcelles de notre anatomie, sans susciter d'émotions particulières.
Guillaume Vissac qui m'avait littéralement envoûté avec ses contributions à Cyclocosmia m'a ici, avec son Rapport d'A. davantage laissé sur ma faim. Exercice de style trop périlleux, ruptures trop prononcées dans la prose, l'immersion s'est avérée trop laborieuse à mon goût.
Par ailleurs, on s'aperçoit au fil des pages que les illustrations monochromes d'Erick Massé, dissiminées ici et là, contribuent à l'atmosphère du numéro.
La dernière partie, nommée Résonances, m'a, quant à elle, totalement ravi. Tout d'abord, nous est proposé un entretien fouillé et original, en compagnie d'Hubert Haddad dont la dernière de ses compositions, Géométrie d'un rêve avait enthousiasmé la taverne.
Se dévoilent ensuite, cerise sur le gâteau, des regards croisés autour d'un livre et d'un homme, Jérôme, qui pèse pas moins de 150 kilos et vaut son pesant d'émotions, distillées avec une verve et une rage dont seul Jean-Pierre Martinet était capable. Un gros pavé qui déroute d'abord, et puis, qui emporte le lecteur. On en reparlera probablement à l'occasion de la sortie récente de La Somnolence qui a été réédité par Les Editions Finitude. Les différentes facettes de Jérôme sont ici disséquées avec beaucoup d'à-propos par Lionel Fondeville, Christophe Esnault, Côme Fredaigue et Jean-Marc Flapp.
Pour clore ce numéro qui donne furieusement envie de lire, une petite fenêtre s'ouvre sur une autre revue, créée en 1998, désormais transformée en maison d'édition, la bien-nommée Hermaphrodite.
1 commentaire:
il n'est pas si courant que nous ayons des retours sur ce que nous faisons (d'où l'impression parfois, quand certaine fatigue vient à se faire sentir, de brasser beaucoup certes... mais dans un bien grand vide) et il est rare vraiment qu'ils soient si détaillés et bien circonstanciés : il y a donc bien encore des lecteurs passionnés et des gens qui écrivent pas trop auto-centrés ! excellente nouvelle... et grand merci à vous.
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