Après La Taverne du doge Loredan en 2007, Le Secret de Caspar Jacobi en 2008 et La Partita en 2009, Anacharsis nous permet depuis avril dernier d'arpenter les pages d'un roman d'Alberto Ongaro, inédit en français. Une fois n'est pas coutume, l'oeuvre ne marque pas d'escale à Venise, mais nous propose la traversée de plusieurs Rio brésiliens et des escapades en Uruguay.
Avec un nom pareil, John B. Huston, avait de fortes chances de suivre la voie de l'illustre réalisateur homonyme. Or, Alberto Ongaro, orchestrateur en chef de roman d'Aventures avec un grand A, lui a réservé une autre destinée, non moins trépidante.
Auteur de romans policiers, Huston est appelé en Uruguay pour y rejoindre un ancien camarade de pensionnat, Valentin, sortant tout juste de prison, et l'aider à percer le mystère drapant la disparition de la bellissime aristocrate Cayetana Falcon Laferrere. En guise d'adieu dans un bar mal famé du Brésil, l'Albatros, la femme a laissé échapper ces quelques mots qui hantent désespérément l'existence du jeune homme:
"J'espère te revoir."
"Una loura e como un frasco de perfume que evapora."
Chez Ongaro, les femmes demeurent des images d'une obsédante inaccessibilité.
Cayetana n'échappe point à cette règle implacable. Femme fatale dégageant une aura de sensualité, synthétisant le magnétisme et l'évanescence à la fois, elle dégage une fragrance enivrante qui flotte au sein des pages du récit.
Les hommes qui le perçoivent ne peuvent que succomber à cet appel, qui ressuscite une page de leur passé.
Les relations en suspens entre la femme et Valentin alimentent les fantasmes du jeune homme.
La passion des hommes pour leur dulcinée accouche de pages d'un érotisme presque suranné.
Notes et hypothèses
"Il continua à écrire, à prendre des notes et à formuler des hypothèses, comme s'il travaillait au squelette de l'un de ses romans dont il ne maîtriserait que le début; il s'arrêtait de temps en temps lorsque ses conjectures semblaient s'annuler l'une l'autre ou engendrer des séquences hypothétiques tout à fait probables."
Les disparitions se succèdent pour former un cortège qui bouleverse l'existence de Huston.
Immergé au coeur du réseau de Valentin, Huston en arrive à détailler, minutieusement, point par point, les éléments accumulés au cours de son enquête, et à en tirer tout un lot d'hypothèses, comme il le ferait pour bâtir le scénario de l'une de ses oeuvres.
Enquêteur, écrivain, acteur, les rôles se mêlent pour mieux confondre le lecteur et l'emprisonner dans une atmosphère cinémytho-romanesque.
"Au fond, la particularité du faucon maltais c'est d'être insaisissable."
Plane au-dessus de Rumba, et de ses proies, la figure de proue du faucon maltais, empruntée au premier film du réalisateur américain. Agent secret, presque transparent dans cette ambiance
noire, tout de blanc vêtu, se faufilant furtivement à l'ombre des personnages, afin d'épier leurs faits et gestes.
Mafieux bedonnant, empruntant une image plus reluisante, en se glissant dans la peau de Sydney Greenstreet, rejouant ainsi le film de Huston pour voler la vedette à Humphrey Bogart.
Ajoutez à cela, quelques coups de théâtre assénés avec une maestria indéniable et Ongaro nous laisse cette impression piègeuse d'offrir le remake d'un film noir des années 50 ou d'un polar de Raymond Chandler.
Et c'est pour mieux déjouer les canons du genre.
Anywhere out of the world
Chez l'auteur italien, la fiction est faite sur mesure pour célébrer la défaite de la réalité.
Ainsi, José Catania, l'espion, prenant conseil auprès de Huston, au sujet de l'élaboration d'une éventuelle autobiographie, en lui demandant si les histoires qu'il écrit sont vraies ou inventées, le romancier lui répond "qu'elles sont en partie réellement arrivées et en partie inventées. Mais elle deviennent toutes vraies, une fois écrites".
Ce n'est d'ailleurs pas fortuit si Valentin, a vu de ses propres yeux, alors qu'il n'était qu'un jeune garçon, un braquage dont les acteurs étaient ses parents. De son côté, il pouvait le suivre en parallèle par l'intermédiaire de la bande-dessinée reproduisant de façon troublante le tragique événement.
Quant à Huston, c'est en répondant à un cri de détresse échappé tout droit d'une autre oeuvre, celle de Charles Baudelaire, Le Spleen de Paris, que sa vie prend un tournant décisif et que le roman surprend plus que jamais, par un rythme effréné.
Avec Rumba, l'auteur italien prouve, une fois de plus, qu'il fait partie des écrivains qui sont capables de transfigurer la littérature, de ceux qui donnent une autre dimension à la vie, parvenant à la transposer sur un plan métaphysique.
Livre ouvert, Rumba appelle d'autre livres, d'autres histoires, d'autres aventures tout aussi jubilatoires.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire