jeudi 8 juillet 2010

Le Lycanthrope et les rites textuels pourpres

Jeune maison d'édition qui s'était illustrée une première fois avec la parution du premier roman de Patrick Dao-Pailler(§iamoises), Le Vampire Actif nous revient, ici, dans un tout autre registre, puisqu'elle nous propose la (re)découverte d'un soleil noir de la littérature du XIXème, surnommé Le Lycanthrope.

Douzième enfant d'André Borel, Petrus Borel voit le jour dans la capitale des Gaules, tout comme la maison d'édition qui le ressuscite. C'est en fondant lui-même, en 1829, Le Petit Cénacle, une communauté ayant pour but la stimulation de la création littéraire, réunissant d'éminentes plumes en vue, telles que Théophile Gautier ou Gérard De Nerval, que Petrus Borel s'autoproclame ainsi.
L'introduction de l'ouvrage, intitulée « Repères », nous apprend aussi qu'il s'agit d'un artiste pluridisciplinaire( journaliste, poète, nouvelliste, romancier) épris, avant toutes choses, d'indépendance et de liberté, refusant à se ranger dans tel ou tel courant de pensée ou à adhérer à quelque parti politique. Inféodé, insoumis, Borel souhaite même renouer avec une sorte d'état de nature, loin de la contamination vicieuse des villes. Ces différents traits de caractère s'expriment au coeur des personnanges déchus jaillissant de la pointe acérée de Petrus Borel.

La partie principale qui suit, intitulée, quant à elle « Quartiers », comprend un florilège de dix textes plus ou moins longs, qui permettent de voyager au coeur de la bibliographie de Petrus Borel et de ses différents aspects. Une aubaine pour cette oeuvre éparse et inclassable, qui demeure, pour l'essentiel, épuisée depuis fort longtemps. Les deux premiers textes retenus mettent en scène l'existence tragique d'un pseudo-écrivain, Champavert, sorte d'alter-ego fantasmé de l'écrivain qui se voit attribué, outre le mal-être et le spleen irrémédiablement attachés à la figure de Borel, de nombreux éléments autobiographiques.

« La vie est bien amère et la tombe sereine »(Passereau l'écolier)


Vient ensuite Passereau l'écolier, une pépite, extraite, comme les deux précédents textes des contes immoraux. Ce long texte m'a littéralement séduit par son ton à la fois poétique et sarcastique. L'histoire, somme toute classique- le récit d'un amour trahi- est éclipsée par les moyens imaginés par le jeune cocu afin de remédier à ses maux. Ne parvenant à obtenir l'accord de sa propre exécution malgré les imprécations renouvelées auprès d'un bourreau, le jeune homme ira même jusqu'à écrire aux députés pour leur suggérer la création d'une institution offrant aux suicidés le pouvoir de jouir d'une mort convenable, en échange d'une contribution, permettant ainsi de renflouer les finances publiques. Les joutes verbales entreprises par Passereau et son confident donnent lieu, elles aussi, à des passages d'une ironie particulièrement exquise et qui mettent à mal la fidélité féminine. La scène finale, celle du puits, quant à elle, laissera des traces jusque dans Les fleurs du Mal de Charles Baudelaire.

« Vous irez rue des Amandiers-Popincourt; à l'entrée, à droite, vous verrez un champ terminé par une avenue de tilleuls, enclos par un mur fait d'ossements d'animaux et par une haie vive, vous escaladerez la haie, vous prendrez alors une longue allée de framboisiers, et tout au bout de cette allée vous rencontrerez un puits à rase terre. »

Le Fou du Roi de Suède et Les Pressentimens Médianoche sont deux textes qui semblent s'aventurer en terres fantastiques, à la rencontre de Mary Shelley et de La Transformation, duquel le premier est adapté. La tourmente, la solitude du personnage principal, incapable d'obtenir ce qu'il souhaite le plus ardemment, s'inscrivent dans la filiation des figures marquantes du gothique(Charles Robert Maturin, Ann Radcliffe). Le pacte final conclu avec un gnome repoussant, permettant au Fou d'acquérir une fortune substantielle, au prix d'un échange risqué de son corps avec celui du monstre, pour trois jours seulement, rappelle quelque peu le dénouement du Moine de M.G.Lewis ou de l'illustre Divine Comédie de Dante D'Alighieri, d'autant qu'il faudra, pour que le malédiction se lève, que leurs deux sangs se mêlent. Cependant, chez Borel, le fantastique, fatalement, finit par se faire chasser par un éclaircissement rationnel.


Le Monde, la Solitude, la Mort, les trois compagnons auréolant l'existence et les créations de Borel, prennent vie dans le prologue de Madame Putiphar, poème ou cavalcade nous entrainant aux portes de l'abîme, aux antipodes des sempiternelles romances et poèmes à l'eau de rose. L'univers du lycanthrope dans toute sa splendeur, dans sa livrée noire.
L'Obélisque de Louxor constitue une dénonciation du pillage inlassable du patrimoine d'autres contrées. L'auteur met en évidence l'absurdité d'une activité qui, sous couvert de préservation culturelle, met en péril, ébranle la richesse d'une civilisation. Pourquoi diable, déplacer un monument égyptien, qui vient ici, dans nos avenues et ronds-points, dépareiller le paysage urbain? Un cri de rage, une réflexion qui pourrait encore, de nos jours, servir d'exemple.

« Puisque nous sommes aux pompes, comment voulez-vous que nous ne pompions pas. »

L'apport journalistique de Petrus Borel n'a pas été négligé, lui non plus, puisque nous sont présentées deux de ses participations à l'encyclopédie morale du XIXème siècle, Le Croque-Mort et Le Gniaffe. Des professions qui ont chacune leurs classes distinctives, leurs accoutrements, leurs particularités, dépeintes avec une truculence tout à fait exquise, à l'aide d'une profusion de jeux de mots, et également, desservie par une érudition surprenante. Ainsi, on apprend la petite histoire du pêché originel qui est à la source de l'appellation de « cordonnier », un gniaffe peu scrupuleux de rendre à César ce qui est à César.

« Étoile oubliée ou éteinte, qui s'en souvient aujourd'hui, et qui la connaît assez pour prendre le droit d'en parler si délibérément ? »(Charles Baudelaire, L'Art Romantique, réflexions sur quelques-uns de mes contemporains)

La partie « Agora » reproduit les hommages rendus par la figure de proue de deux courants littéraires majeurs, Charles Baudelaire et André Breton. En des termes nuancés, d'ombre et de lumière, il s'agit d'un témoignage sur l'influence considérable que Petrus Borel le visionnaire a pu avoir sur plusieurs générations d'artistes.
Crépuscule, aurore boréal d'un ouvrage de fort belle tenue, Olivier Rossignot, éminent spécialiste de l'auteur, marqué à jamais par le sceau de Petrus Borel, poursuit la contamination lycanthropique en évoquant ses différentes rencontres avec l'auteur. Mystification ou authenticité biographique, Petrus Borel, Soleil noir de la littérature du XIX ème siècle, lui qui s'enracinait profondément dans les méandres de l'existence, s'éteindra, suite à une insolation, au terme d'une mission en Afrique, le berceau de l'humanité.




3 commentaires:

Nikola a dit…

Excellente présentation, cher Edwood! Si avec un tel texte, tu ne parviens pas à convaincre les derniers récalcitrants (oui, il en reste, qui rechignent encore à lire Pétrus Borel!), c'est à désespérer. Il faut souhaiter, maintenant, la réédition nécessaire de Madame Putiphar pour que tout soit à portée de mains du lecteur aguerri. L'occasion d'un nouveau groupe de pression sur les éditeurs? :-)
Amitiés,
Nikola...

Irma Vep a dit…

ah ah Nikola... :-)

edwood a dit…

Nikola, curieux que je suis, je ne pouvais que pousser au vice d'aller fureter dans l'oeuvre du lycanthrope.

La réédition de Borel n'est pas sans lien avec son texte grinçant "L' Obélisque de Louxor", publié ici.

Quand notre propre patrimoine culturel contient des perles aussi reluisantes que celles-ci, on devrait peut-être s'évertuer à les mettre en valeur, au lieu de les abandonner à l'oubli.

Cet été, dans la taverne, les évocations d'auteurs français pétris de talent et tout autant délaissés, ne manqueront pas.
J'ai déjà parlé de Jean-Pierre Martinet, de Claude Louis-Combet et ne tarderai pas à évoquer Maurice Pons et Jacques Abeille, d'autres soleils noirs de notre paysage littéraire.

Et croyez-moi, concernant ce dernier, je compte bien m'évertuer à apporter ma modeste pierre à l'édifice salutaire de sa redécouverte...