Quatre fruits défendus par un fourreau ténébreux dont il faudra fendre l'écorce, étreindre la prose, chavirer avec elle dans le monde du pêché. Souvent plus éloquent que suggestif, le genre soulève ici le débat de la frontière intangible entre érotisme et pornographie. Le langage parfois dévergondé de ces courts textes, rassemblés au sein de ce nouveau coffret paru aux éditions de l'atelier in8, ne s'interdit pas la mise en valeur des corps dans leur entière nudité, dans leur totale impudeur à se réveiller. Le plaisir n'est alors plus tant de combler les ellipses laissées par le texte, d'imaginer une suite aux fantaisies inventées par l'auteur, que de s'inviter dans le ballet alimenté par la frénésie de l'excitation, par la palpitation de l'instant, par la suprématie de l'instinct. Le recours à la pornographie obéit au besoin d'exalter ce qui anime le coeur des personnages dans leur servitude aux sens, dans leur total abandon au pouvoir d'attractivité de l'autre.
Ainsi, on retrouve non sans surprise un Jacques Abeille désinhibé de ses suspensions préliminaires, de sa syntaxe faite de circonvolutions, et qui aborde ces ébats comme une chasse, dominée par l'urgence de l'assouvissement du plaisir. Toutefois, ce n'est pas sans malice que l'auteur associe la foi religieuse et la ferveur sexuelle:
"Et les mots montent à ses lèvres en une bienheureuse litanie: Bats-moi, ô bats-moi! Je l'ai si bien mérité!"
Si les parties du corps sont parfois nommées sans détour aucun, l'enjeu psychologique ajoute au texte un caractère ambigu, ambivalent pour ainsi dire, qui ne saurait à mes yeux confesser une quelconque appartenance à la pure pornographie.
Vénus Atlantica d'Emmanuelle Urien prolonge cette idée de fantasme, associant cette fois le port d'une arme et l'idée de virilité qu'elle suscite. Un séducteur se retrouve chaque été sur la même plage de Biarritz. Le même rituel, les mêmes gestes, répétés année après année. Si les corps et les visages des naïades en tenue affriolante se renouvellent au gré des saisons, la libido et les penchants du mari ne fluctuent guère. Le langage employé, flirtant par trop souvent avec la vulgarité, ainsi que la structure narrative ne m'ont guère imprégné.
Le texte d'Agnès Fonbonne, Recto verso et vice versa, aborde la relation entre un voisin et une voisine, en juxtaposant les rapports de l'un à l'autre, multipliant les points de vue, donnant ainsi naissance à des échanges innocents, en premier lieu, de plus en plus indécents au fil du temps:
"Ce fut lui qui fit taire l'inspiration de leurs lèvres, lui encore qui l'obligea à venir poser l'embrasure ruisselante de son infinie féminité contre sa bouche. Comme un seul homme, il avait trouvé immédiatement où cela se passait. Mais le souvenir du galbe de ses jambes, qu'il admirait toujours en silence lorsqu'elle grimpait l'escalier devant lui, le guida certainement dans la reconnaissance de ces replis cachés qu'il dégustait pour la première fois."
Le discours à la troisième personne capte le regard dans la suggestion, provoquant la germination de désirs refoulés au pas de la porte, sur la cage d'escalier, où fugitivement, les corps se rencontrent, les esprits se portent l'un à l'autre des pensées dont ils ne peuvent qu'imaginer la nature. J'ai parfois songé à ces scènes tournées au ralenti, dans le film de Wong Kar-Wei, In the Mood for Love.
Enfin, le dernier texte d'Olivier Deck, dont la taverne avait déjà évoqué, non sans émotion, l'une de ses nouvelles( La voie ferrée ) m'a séduit par son style miniature, fait de soubresauts et de réminiscences:
"L'océan gronde très loin. L'océan, le fauve au pelage gris vert. L'océan, le fauve au pelage noir. Panthère noire, atlantique. L'écume, des crocs, des griffes qui le lacèrent. L'océan, une panthère noire sur lui. Une panthère noire."
L'océan est ici un personnage à part entière dans sa sauvagerie, dans sa bestialité, dans ses variations infinies remodelant les formes, les parfums et les couleurs d'une femme qui posait pour lui et qui aurait du se retrouver face à lui, dans cette petite maison de charme, tournée vers l'océan. L'écriture alerte, éclatée, redondante d'Olivier Deck écorche le lecteur à vif, le tiraillant d'une vague d'émotion à l'autre, remuant en quelques pages, des souvenirs éreintants. Ce texte aborde aussi la thématique de la difficulté pour la muse d'exister par elle-même, de s'échapper à l'inextricable dépossession entamée par l'artiste. Un chef-d'oeuvre de concision, de poésie et de subtilité.
Pornographique ou érotique, au fond, il s'agit avant tout d'un recueil nuancé, clair-obscur, à la fois discret et explosif, qui surprend son lecteur par son audace à passer d'un registre à l'autre.
- A parcourir: Un coffret de nouvelles érotiques parues en septembre aux éditions de l'atelier in8 regroupant:
- Odeur de Sainteté de Jacques Abeille
- Vénus Atlantica d'Emmanuelle Urien
- Recto verso et vice versa d'Agnès Fonbonne
- Tes yeux sur moi c'est fini d'Olivier Deck
- A redécouvrir: le premier coffret érotique paru en 2007 parues aux mêmes édition de l'atelier in8( avec entre autres Séraphine La Kimboiseuse de Jacques Abeille)
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