lundi 6 décembre 2010

Gabrielle Wittkop perpétue le mythe des harpies



Harpie nichée sur la façade du palais du Rhin à Strasbourg


Oeuvre atypique de Gabrielle Wittkop, L'Almanach perpétuel des harpies, sous-titrée "avec explication de leurs origines, moeurs, coutumes, métamorphoses et destinées", présente une série de variations étranges autour de la figure de la harpie. Composé de poèmes, dessins, courts extraits encyclopédiques, d'allusions mythologiques, de correspondances imaginaires, faits divers fictifs, de témoignages inventés de toutes pièces, d'une fausse ballade, de plusieurs contes cruels, mais aussi de quelques énigmes et de limericks, il s'agit avant tout d'un puzzle ludique dont les différents morceaux se répondent les uns les autres dans un esprit malicieux et truculent du plus bel effet. Si le ton passe d'un registre à l'autre avec une aisance déconcertante, l'image de la harpie reste bien présente à l'esprit du lecteur tout au long de l'ouvrage grâce à un fil rouge, dont les textes restent attaché, tout en acquérant progressivement une autonomie vis-à-vis de la figure ancrée dans la mythologie grecque. Tour à tour cylindre denté donnant lieu à un échange cocasse entre le directeur d'une usine de pâtes et le fabricant des machines utilisées en son sein, lieu de débauche nocturne, papillon fascinant, la harpie se métamorphose au gré de la fantaisie wittkopienne qui avertit très vite son lecteur de la sorte:

"Mais qui peut connaître les métamorphoses des Harpies?
Changeant sans cesse au cours des siècles, elles adoptèrent des visages toujours recommencés, toujours renouvelés, s'épanchant les uns dans les autres en un mouvement perpétuel comme celui de la mer où elles sont nées."

Gabrielle Wittkop s'ingénie à démontrer sa présence insoupçonnée dans le chaos moderne, à traquer ses apparitions invisibles au commun des mortels en portant un regard cryptologique, tout en assumant un degré d'auto-dérision non-négligeable.

Loin d'être innocent, le choix de la harpie peut être considéré comme une parabole de l'auteur elle-même, dont l'oeuvre a souvent dérouté l'opinion publique et a été victime d'une interprétation pour le moins étriquée et répondant à des préjugés associés aux thèmes abordés et aux titres choisis, dégageant une vague odeur de souffre.
Le dessin noir et blanc de son plumage semble inscrire le destin contrasté d'une artiste qui a été jugée hérétique par la censure, avant d'être réhabilitée et reconsidérée par ses pairs comme une auteur vénérable, dotée d'une plume légendaire, capable d'enserrer son lecteur comme une proie vulnérable.




  • A dévouvrir: L'Almanach perpétuel des harpies de Gabrielle Wittkop chez Patrice Thierry Editeur, collection de L'Ether Vague( 1995)

2 commentaires:

Hécate a dit…

Gabrielle Wittkop a le don de nous infuser les délices de ses poisons ...
Je n'ai point rencontré ses "harpies"; mais connaissant un peu sa plume à nulle autre pareille , voilà qui attise la curiosité !
Bien votre
Hécate

edwood a dit…

Chère Hécate,
Ravi également de vous retrouver ici, sur le fil de la taverne.
Cette oeuvre, si elle n'est pas aussi profonde que d'autres, sa fraicheur lui permet incontestablement de se démarquer du reste de la bibliographie de Gabrielle Wittkop. On y trouve quelques raretés, comme un témoignage délectable de la petite Anne Le Floch, suite à son expérience traumatisante des harpies.
J'espère avoir un jour l'occasion de revivre une oeuvre de la dame sous votre plume aiguisée.