mardi 22 juin 2010

Extraits d'une folie en devenir



Je suis tombé par hasard sur un cahier de presque 240 pages, intitulé Extraits des archives du district. La signature porte l'appellation de la taupe. Nom de code, pseudonyme ou anagramme, ce dernier sonne faux, assurément. Mais il y a en tout un tas d'autres éparpillés dans ces pages, tous plus incongrus les uns que les autres, Grodek, Pop Suckers, Crotte de Tortue, dévoreurs de temps* pour ne citer qu'eux.

Il y a quelque chose qui me dérange dans ce rapport. Comme si toutes les parties n'avaient pas été rédigées par la même personne. Comme si elles n'allaient pas dans le même sens.

Comment peut-on, dans le même temps, avec une maniaquerie aussi absurde, s'attarder à analyser les files d'attente d'une banque, observer le harcèlement que fait subir sans raison une brute à sa pauvre voisine, chroniquer un match de football avec un sens du détail aussi pittoresque, s'attarder sur le numéro d'un illusionniste, comme s'il s'agissait de la septième merveille du monde? Humour, poésie et cruauté sont mêlés de telle façon que je pense parfois avoir affaire à un caméléon déroutant.

Très honnêtement, j'ai du mal à faire le lien, à connecter les différentes pièces du puzzle. Je dois le dire, je suis dérouté.

Je suis perdu dans les méandres de ces archives, comme s'il s'agissait d'une oeuvre censée faire prendre conscience d'une conspiration sous-jacente.

Je ne vous ai point encore parler de ces passages secrets qui répertorient procédures, habitudes et obligations des clubs d'enterrement avec un sérieux assez redoutable, je dois dire.

Là, on touche à la science-fiction**, à un monde policé à l'extrême, presque mathématique, réglé comme un horloge. Avec ces binômes inséparables, ses règles de 10 ou de 3 rigoureusement maintenues grâce à d'implacables turnovers, on pourrait le croire. Et pourtant, il y a toujours ces exceptions qui confirment la règle, comme pour semer le trouble.

Désormais c'est le chaos dans mon esprit. Plus rien n'est sous contrôle. Ce rapport est comme une météorite tombée du ciel. Il semble venu de nulle part. Je ne comprends pas.

L'auteur semble paranoïaque. De qui, de quoi, pourquoi? Cela me tracasse de plus en plus. J'ai l'impression d'être contaminé par ses soucis, concerné par ses tracas quotidiens, par l'aversion de sa fausse caissière préférée, de subir une surveillance indirecte, en pénétrant son univers.

Au fond, je me demande si ce dernier n'a pas inventé cette galerie de personnages, ces guerres intestines, ces jeux de dupe pour provoquer mon empathie, pour me faire prendre conscience que, derrière mes soucis insignifiants, l'achat d'un déodorant, les éliminatoires de la coupe du monde, les commérages de bas étage, il y a des problèmes qui perturbent ma vie en profondeur et qui la mettent en danger.

Je ne sais pas, je me dis parfois aussi que je suis en train de perdre la tête, que je deviens un lecteur trop assidu, trop concerné par les lignes que je dévore, qui me rongent de l'intérieur, comme un ver solitaire. Je ne sais pas, je me pose la question.

La mythomanie de l'auteur est à soupeser, à évaluer consciencieusement. Cette Muriel, avec sa tendance à trafiquer les archives, à y mettre son grain de sel, elle est pas toute blanche dans l'histoire, cette Muriel, ça, j'en donnerais ma main à couper, quoique. Et ce joueur de football mythique, Jiri ne porte-t-il pas le même nom que l'ami de la taupe avec qui il partageait la passion des histoires fantastiques? Le premier est un fantôme fulgurant sur le stade vert, le second une apparition presque métaphorique ou sémaphorique. Il y a des signes qui ne trompent pas, qui invitent à la prudence, qui incitent à la méfiance, il y a des signes...Enfin, je ne sais pas, je ne sais plus. Il y a des choses qui clochent, des trucs qui ne tournent pas rond dans ces archives. Boîte de Pandore, ou faux-semblants qui endorment la conscience, je ne sais pas, je ne sais plus.. s'il ment volontairement, si on le force à mentir, ou si...c'est moi qui me raconte des histoires qui ne riment à rien. Je ne suis plus sûr de rien.

Je m'interroge moi-même car je n'ai personne à qui me confier. J'ai le sentiment effarant d'être confronté à des situations troubles, entouré d'agents doubles, de personnes déguisées, de forces de l'ordre substituées en prostitués***. Voilà où j'en suis.

Il y a des questions abordées, et d'autres sabordées. Par-dessus le marché, seule apparaît la partie visible de l'iceberg. L'essentiel est recouvert d'une chape de plomb. Du coup, je ne sais plus vraiment sur quel pied danser. Une chose est sure, j'ai l'impression d'être mené en bateau.

J'oubliais. Je ne vous ai pas encore dévoilé le lieu de ma découverte. Je risque ma vie mais je me dois de ne point passer cela sous silence au risque de finir mes jours dans une prison. Pour ma santé mentale, pour votre bien, écoutez!

C'était dans ma boîte aux lettre, tout au fond. Un colis enfouie sous la pile de prospectus, publicités, tracts politiques et factures impayées. Du pareil au même quoi. De la paperasse bonne à foutre à la décharge publique. Illico Presto! Cette aubaine à ordures était tapie dans l'ombre comme s'il ne fallait pas qu'elle se montre, qu'on sache qu'elle était là. D'ailleurs, il n'y avait pas même de timbre, pas l'ombre d'un Microbia 1, 2 ou 3 collé dessus. Comme si on ne devait pas laisser de trace, comme s'il fallait, avec une prudence de tous les instants, préserver la plus grande discrétion. Mais comment a-t-on pu le glisser à l'intérieur de ma boîte? Cette question continue de me trotter dans ma tête, toujours et encore, comme un songe obsédant. Puisque la fente permettant d'y faire tomber un paquet de quelque sorte ne permet, en aucun cas-et je pèse mes mots- de fourrer un volume de cette taille. Et ce même en le compressant d'une façon ou d'une autre. A moins que la personne censée l'avoir déposé avait en sa possession un instrument dont j'ignore la nature, inspiré par Leonard De Vinci. A moins qu'on me l'ait remis en mains propres.

Ou que ce livre soit fait pour faire le tour du district afin que chacun y apporte sa contribution personnelle. Je me demande si je ne vais pas lancer une fusée de détresse, ou moi-même à mon tour, ne pas semer la zizanie dans ces rapports, épicer, et balancer tout cela à l'attention du premier quidam qui passera sur mon chemin. J'avoue que je ne sais plus, que je perds la mémoire au fur et à mesure de ma lecture, que je perds le fil de mes notes prises dans un sens aléatoire. Je ne sais pas, je ne sais plus ce que je fais, ce que je suis censé faire, censé dire, censé raconter. Je perds les pédales, littéralement, sans commune mesure. C'est inexplicable. Je suis devenu fou, ou suis en passe de la devenir. C'est l'un ou l'autre. Le seul remède: écrire, écrire pour survivre, faire passer le message, coûte que coûte.


*Plus communément surnommés Attila

**Je me crois parfois plongé dans un monde imaginé par Kafka

***D'ailleurs, le seul crime qu'ont pu commettre ces nymphes(appelées assistantes sensuelles) pour se retrouver derrière les barreaux est probablement de provoquer des érections en chaine.


2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonsoir,

Chronique avantageuse (du moins il me semble), qui me donnerait envie de lire ces archives, si je n'avais pas déjà dévoré l'ouvrage en question.

Toutefois, j'aurais résumé votre déroute apparente face à ces extraits en une phrase, bateau s'il en est, mais peut-être utile pour apporter une autre clef de compréhension et de ressenti : au final, qui est le plus important du message ou du messager? (l'emploi du pronom "qui" n'est pas anodin, ma question rhétorique est donc orientée j'en conviens)... Qu(i)'y a t'il sinon nous et/ou notre perception, "conspiration" ou non? Doit-on (se) transposer pour ressentir, vivre?
(et ceci ne sont que quelques pistes, en dehors des questions quotidiennes que je me pose, étant archiviste de métier - mais ceci reste indépendant de cela)

Mais c'est votre chronique, votre blog, je n'en dirai donc pas plus.

A part que... désolée de vous contredire, mais Jiri n'est pas un "ami", du moins pas à proprement parler. Relisez le passage ou La taupe parle de lui... vous aurez peut-être l'occasion de découvrir un autre éclairage (notamment sur le match de football), une petite lampe de poche à la lueur ténue, mais qui titille néanmoins la rétine.

Pour ma part, je relirai ce livre avec un plaisir certain, proche peut-être parfois du masochisme...

Alie

edwood a dit…

Alie,
Bienvenue dans la taverne et merci de votre réaction.
Ce sont celles qui ne vont dans le même sens qui font avancer, du moins je le pense.
J'ai lu et relu votre commentaire pour en peser toutes les nuances.

Concernant mon billet, ce qu'il faut savoir, c'est qu'il s'agit d'une réaction d'un lecteur(moi ou un autre imaginaire parmi tant d'autres) suite à la réception de ces extraits.
Crescendo, la paranoïa semble prendre possession du récit, et c'est cet élément que j'ai voulu faire ressortir avant tout, pour être en adéquation avec l'oeuvre en question.
Peut-être ai-je fait fausse piste.
Cela peut arriver, assurément.

Concernant l'identité de Jiri, j'ai du prendre un peu trop à la légère le terme d'ami, il est vrai. En tous les cas, il semble l'être dans un premier temps.

Enfin, ne soyez pas désolée car j'aime les réactions qui soulèvent des interrogations.

D'ailleurs, je suis curieux d'avoir un peu plus de détails concernant votre impression de lecture, si possible aussi, quelques anecdotes concernant votre profession, qui attise ma curiosité de lecteur.

Bien à vous