mercredi 30 juin 2010

L'infamie selon Claude Louis-Combet


Les entrailles toujours et encore, après la lecture de Dissonances 18.
Un recueil qu'il fallait proprement décortiquer, dont il fallait, au préalable, une à une, séparer les pages, afin de pouvoir pénétrer son univers, de s'immiscer dans le sein de ses récits. Un avertissement, un rite initiatique, une façon, en quelque sorte, de prendre conscience qu'au coeur des pages dévoilées, l'innocence ne sera plus, ou qu'elle sera, à chaque instant, menacée.
Six nouvelles, six façons de s'approprier la complexité de l'enfance, son impuissance et ses fantasmes, l'enfance faite d'ambivalence, l'enfance et ses infamies, Augias et autres infamies.

Si les histoires narrées peuvent, dans un premier temps, s'apparenter à des contes pour enfants, et s'en inspirer, la narration s'en détourne rapidement pour serpenter dans les chemins de traverse, visiter l'inavouable, l'ineffable, perforer la superficialité, pénétrer la super-filiation qui unie les êtres les uns aux autres.
L'infamie s'opère par la perversion, l'inversion des rôles, des repères habituelles. Les parents, censés jouer le rôle de gardes-fou, incitent ici leurs progénitures à se glisser dans les coulisses, à lever les yeux vers les secrets.
« VOUS ALLEZ VOIR », martèlent ainsi les mères à leur garçon, en préparation du spectacle qui s'annonce dans Baubô. Ils verront d'eux-même car les mères sont, suite à une mystérieuse épidémie, ayant décimé leurs maris, les dernières garantes des tabous. La découverte se fait sans explication ni intermédiaire, dans l'immédiateté totale de l'expérience.
Les enfants, quant à eux, se laissent, sans retenue aucune, aller à des pêchés, tels que la luxure, le voyeurisme, le mensonge, voire la zoophilie ou la nécrophilie. Les coupables deviennent victimes, en subissant le châtiment de leurs actes et pensées. Robinson par l'intervention nocturne du cisailleur Prokhuss, Flore par la dévoration cauchemardesque qu'elle affronte, Augias, par le torrent pestilentiel qui déferle de ses expériences scientifiques, Yezid, enfin, par sa propre putréfaction.

Dans chacune de ces histoires, c'est une pulsion sauvage, le désir de faire sortir le secret de ses gonds, d'être le spectateur exclusif d'expériences interdites, qui animent les personnages.
A la source de ces aliénations, de cette servilité, il y a une fascination primitive, exacerbée.
Yezid, ne ressent-il pas le besoin de s'extirper du temps, de pénétrer les mystères de la vie, de renouer avec ses origines?
Flore se délecte de sa grand-mère, des parfums qu'elle dégage, des formes qu'elle dévoile, des envies qu'elle fait naître.
Victor, quant à lui, est littéralement hanté par le conte La Maison des Marmousets jusqu'à le confondre avec sa propre existence. Avec émotion, il revit inlassablement la tentation, le désir d'immiscer son regard à travers les fissures des planches, de se laisser dévorer par les flammes incandescentes qui envahissent son grenier.
Le narrateur de la nouvelle se retrouve ainsi dans l'obligation de prêter une oreille attentive aux confidences de son amie. Être, en quelque sorte, le complice des actes ignobles qui lui sont narrées, et par conséquent, sacrifier son innocence. L'infamie, le sentiment de culpabilité inlassablement.

Louis-Combet mêle-toujours très subtilement- sensualité, fantastique et subconscient pour imprégner le lecteur de son ambiance à la fois malsaine et obsédante, pour semer le trouble et épicer l'interprétation. Distillant tour à tour, délices, malices et maléfices, le conteur se fait enchanteur.
Si chacun des récits est d'une grande qualité, Augias m'a littéralement subjugué. Plus que jamais, l'auteur a su agencer un récit en jouant avec différents registres apparemment paradoxaux, le fantastique et l'humour, en flirtant presque avec la parodie. Savant mélange, l'écriture distille des passages absolument jouissifs.

Le dessin à la craie noire offert par Beksinski en guise de couverture est aussi à saluer. Représentant une femme aux doigts crochues, à la chevelure recouvrant presque entièrement le visage, un avorton mutant agrippé à ses parties génitales, il semble être réalisé sur mesure pour le présent recueil. José Corti finit ainsi de convaincre le lecteur ne se laissant point séduire qu'il serait en train de commettre une absolue infamie.
On reparlera très certainement de ce Louis-Combet puisque Corti publie à la rentrée Le Livre du Fils, qui pourrait bien rappeler Augias.




4 commentaires:

Nikola... a dit…

Cela me rappelle d'excellents souvenirs de lecture! Très bonne idée que de mieux faire connaître l'œuvre très particulière de Claude Louis-Combet. Encore un superbe texte, Christophe. Amitiés, Nikola...

Irma vep a dit…

Merci Christophe de parler d'un de ces auteurs magistraux qui restent parfois incompréhensiblement un peu trop dans l'ombre... Le découverte de PLC ne laisse pas indifférent parce que sa littérature est faite de et parle à la chair... Son écriture est de plus magistrale. J'ai relu dernièrement son incroyable "Blesse, ronce noire" qui prend pour point de départ le dernier vers d'un poème de Trakl.
Je te conseille un excellent essai autour de son œuvre (je ne sais pas s'il est encore édité) :"Claude Louis-Combe, L'œuvre de chair", de José-Laure Durrande paru aux Presses universitaires du septentrion, collection Objet en 1996. Mais peut-être le connais-tu déjà!
Bien à toi,
Irma Vep

edwood a dit…

Irma, Nikola, merci de vos passages ici et de souligner la richesse de l'univers de Louis-Combet.
Irma, hélas, je ne connais point l'oeuvre que tu mentionnes. Nul doute que je jetterai un oeil à celle-ci dans un futur proche.
C'est marrant parce que tu as dit PLC et que moi aussi, inlassablement, je faisais l'erreur d'appeler cet homme Paul Louis-Combet.

Nikola a dit…

Puisqu'on en est à citer des oeuvres critiques autour de CLC (;-)), je me permets de glisser ici une suggestion: Visions visitations passions en compagnie de Claude Louis-Combet, chez De Corlevour, un recueil dirigé par Stéphanie Boulard et riche d'une belle iconographie. Ah, chère Irma, Blesse, ronce noire! Quel livre extraordinaire! Oui, CLC mérite vraiment d'être découvert.
Amitiés,
Nikola...