lundi 4 octobre 2010

Une histoire tirée par les cheveux

Captiver le lecteur durant plus de 200 pages à travers une Histoire de cheveux, voilà de quoi laisser dubitatif le plus esthète des coiffeurs? De quoi provoquer son lot de cheveux blancs aux éditeurs qui ont le courage de publier le récit en question. Et pourtant, Alan Pauls parvient ici le tour de force non seulement de passionner, mais aussi d'amener une réflexion profonde sur les liens qui unissent nos cheveux et notre existence.

C'est tout naturellement que le roman débute dans un salon de coiffure, alors qu'un traducteur( qui pourrait être Alan Pauls) peu habitué à fréquenter ce genre de lieux, se retrouve aux mains d'une jeune femme lui malaxant le cuir chevelu. Un moment propice au relâchement des sens, à l'abandon vers d'autres dimensions de sa mémoire.

"Ce qu'il fait n'est pas exactement se faire couper les cheveux. Il s'est assis dans le fauteuil d'une machine à remonter le temps(...)" 

Dès lors que les cheveux semblent se faire oublier, le rendez-vous rituel chez Celso, le coiffeur paraguayen, dont un pan méconnu de son histoire nous sera narré sur la fin, rappelle l'esclave à son supplice mensuel. Les positions incommodantes, les ordres martelés avec une précision diabolique, et surtout les questions d'usage, répondant nécessairement à une subjectivité embarrassante à la suite desquelles notre homme est contraint bien malgré lui d'exprimer sa volonté le plus concrètement possible, l'oppressent au plus haut point. Ainsi, les idées profanes qu'il se fait, du "court" ou du "long", du "dégradé" ou de l' "homogénéité", des nuances du "peu", du "un peu" ou du "très" résonneront-elles de la même façon aux oreilles du professionnel aguerri.
Des scènes qui ne manqueront pas d'évoquer quelques souvenirs chez le lecteur sensible à l'authenticité de la restitution.

Associés à son sort pour le meilleur et pour le pire, ses cheveux apparaissent comme les garants de son histoire personnelle. Ils ressurgissent pour lui signifier qu'ils demeurent suspendus au-dessus de sa tête, telle une épée de Damoclès, puisque nulle autre partie du corps humain n'est susceptible, de la même façon que nos cheveux, de nous faire prendre conscience de notre nature périssable.
La volonté de modifier sa coupe obéit en quelque sorte au besoin de transmuer ce témoin de sa condamnation à venir, en symbole de son appartenance à une tendance, de s'affirmer au sein d'une époque, de clamer haut et fort son identité.
Ainsi, en subtilisant l'image de cette armée de doigts menée par son ancienne petite amie aux mocassins rouges, fouillant les méandres de la coupe afro de son camarade de classe, il ressent la caresse d'idéaux qu'il décide d'embrasser sur-le-champ, en empruntant le style du jeune garçon. Un fiasco qui laissera des marques dans son esprit toute sa vie durant. Et au gré des années, malgré les déboires de l'âge adulte, invariablement, Monti sera associé à cette exubérance capillaire, et à son pouvoir de séduction.

"Dans certains cas, il s'agit de cicatrices: on a reçu un coup, on est tombé et on a saigné, on a été recousu, et la trace en forme de sept ou la droite énergique ou le petit fer à cheval plus clair qui apparaissent lorsqu'on se rase le crâne constituent des souvenirs* empêchant que les faits s'évanouissent dans la brume du passé. Mais dans la plupart des cas il n'y a rien eu, ni accident, ni contusion, ni suture, rien, et les marques sont là, aussi nettes que des tatouages ou des empreintes digitales, des lignes de naissance qui, dessinées sur la terre intime de la peau, réapparaissent un jour et font foi d'une identité dont toute autre région du corps ou de la mémoire ne présente pas la moindre trace."

Toutefois, à chaque rencontre, plus méconnaissable que jamais, Monti porte les stigmates des crocs-en-jambe et autres coups du sort assénés par le destin, qui, successivement, l'éloigne de l'enfance.
Au même titre que les lignes de la main portent en elles l'avenir de chacun, les cheveux semblent traduire les épreuves traversées par l'être qui les porte. Plus que nulle autre parcelle de notre chair ou de nos os, les cheveux demeurent les reliques, qui survivent à la disparition de l'être chéri, et qui prennent au fil du temps une valeur inestimable, comme en témoigne cette vente aux enchères de la mèche du Ché, trésor disséminé parmi d'autres trésors, ou l'épisode final dont je tairai les détails.

Alan Pauls impressionne par l'ampleur de ses phrases, au sein desquelles afflue simultanément une multitude d'idées. Tourbillon syntaxique ininterrompu du début à la fin, au coeur duquel le lecteur risque de se perdre s'il ne se laisse pas emporter par l'esprit de l'auteur, à fois réflexif et cocasse.



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