Photographie de Matthieu Dupont |
C'est au fil du temps, d'une nécessaire introspection que certaines scènes de l'existence - apparemment banales, a priori sans importances - peuvent révéler tout leur sens. Les détails occultés et les petits rien négligés sur le bas-côté de la vie - la couleur du papier peint, un évier jonché de vaisselles, le tintement d'un glaçon, ressurgissent parfois avec une intensité proportionnelle à la faculté de se laisser emporter par le courant des souvenirs. Pourtant, en apparence, le passé demeure, ni plus ni moins tel qu'il était à l'époque. Mais seulement voilà, le regard s'est doté d'une acuité nouvelle qui lui permet désormais de percevoir la signification cachée derrière ces instantanés qui sont devenus des révélations. Est-ce le fruit du hasard si celui-ci se porte vers la surface du fleuve qui lui fait face, s'agit-il en fin de compte d'une réflexion mûrement réfléchie amenant l'homme à se pencher sur les brindilles qui oscillent au rythme du fleuve qui les conduit? Les sens qui captent le flux incessant de la nature, sont-ils tout à fait innocents dans cette réminiscence impromptue? Après tout, quels sont les mécanismes qui orientent la mémoire vers telle ou telle direction? Qu'est-ce qui l'amène à s'attarder ici ou là, dans les failles les plus secrètes de notre passé, à dessiner telle ou telle trajectoire improbable, tandis qu'elle pourrait dériver partout ailleurs?
Liquide de Philippe Annocque ressemble à une sorte de roman réflexif qui se déploie au fil de l'eau. La narration lancinante, fidèle au tempo de la mémoire du narrateur, est faite de circonvolutions, d'apartés, de variations, de contrepoints, de fugues, de va-et-vient. Dire qu'il n'y a qu'un seul et même personnage tout au long du récit - au même titre, qu'il n'y a qu'un seul et même auteur derrière chacune des oeuvres de Philippe Annocque - ne serait pas tout à fait juste. En effet, de façon presque imperceptible, éminemment progressive, celui-ci met en scène la rencontre d'un homme d'âge mûr et de celui qu'il était alors, identique et différent à tout moment. Le troisième personnage - et pas des moindres - celui sans qui ce rendez-vous serait compromis, n'est personne d'autre que l'élément liquide irriguant la mémoire. Se livrer à lui - un livre n'est-il pas une confession de notre condition, une sublimation de notre état terre à terre - offre les conditions propices à la plongée entre deux dimensions d'un individu, celle qui vit, et celle qui prend conscience.
A parcourir: Liquide de Philippe Annocque chez Quidam Editeur (2009)
- Du même auteur (enfin paraît-il), Monsieur Le Comte (à prendre ou pas d'ailleurs) au Pied de la lettre dont on parle avec majesté dans la marche aux pages
- Pour découvrir, une autre facette de la personnalité de Philippe Annocque, il est aussi possible de jeter un oeil à ses hublots