mardi 29 janvier 2008
QUESTION D'INSPIRATION
Parfois, je me dis que celle-ci est d’ordre magique, quelque chose d’inexplicable, du moins en apparence. Victor Hugo disait à ce sujet : « Une idée est un météore », comme tombé du ciel.
N’est-il pas cependant trop convenu de se contenter d’une cause surnaturelle à tout ce qui nous échappe(comme la Création divine), nous, simples créatures mortelles ?
Pour contrecarrer l’idée bien romantique de l’inspiration proche de la grâce, on pourrait citer Jean Anouilh :
"Le talent est comme un robinet. Quand il est ouvert, on peut écrire. L'inspiration est une farce que les poètes ont inventée pour se donner de l'importance."
Certes, on pourrait alors supputer l’idée d’un monde dans lequel viendrait butiner tous les cerveaux de l’univers. Un lieu mystérieux qui s’apparenterait à l’étage supérieur de la noosphère, accessible seulement aux esprits les plus imaginatifs, perturbés par nulle entrave ; qui pourrait ressembler en quelque sorte au mythe de la caverne évoqué par Socrate dans la République de Platon.
Maintenant, il serait bien délicat d’affirmer si la collecte se fait de manière instantanée ou bien par réminiscence, comme chez le philosophe grec.
Cette idée est susceptible de déranger l’égo scrupuleux des artistes car elle invite à penser que l’origine de l’inspiration est commune à tous. Ainsi, comment oserait-on s’approprier les idées qu’on croyait sienne dans la mesure ou elle a été cueillie comme on arrache une fleur d’un champ ?
Par ailleurs, on peut se demander de quelles façons peut-on se connecter à ce monde insaisissable ? En rêvant, en étant à l’écoute de l’univers, ou en prenant des substances illicites comme certains poètes du Xxème siècle (bien que je ne recommande pas cet usage dont les effets ne sont pas tous de la même nature) ? Si les songes, par exemple, sont propices aux visions, à l’inspiration, c’est très probablement car ceux-ci sont dominés par l’hémisphère droit de notre cerveau et donc libérés de la rigidité de celui-ci. Ainsi, les courants d’inspiration semblent s’effectuer dans un mouvement proche de celui d’une fuite, de l’escapade. C’est pourquoi les plus grands visionnaires sont bien souvent aussi les personnes les plus déconnectées de la réalité.
D’ailleurs, sommes-nous égaux devant l’inspiration ? La faculté de se libérer du côté terre-à-terre de notre existence pour aller puiser ce qu’il y a de plus imperceptible est-il donné à tout le monde ? Car, si concernant le talent de la reconstitution artistique de l’inspiration, d’animer celle-ci, il apparaît que cela s’apparente à un don( qui s’exerce, il est vrai), il est bien loin d’être évident que ce soit de même dans le cas de l’inspiration. Et pourtant, la confirmation de l’une de ces hypothèses pourraient donner la clé de l’énigme. Si nous sommes comme touchés par la grâce, nous sommes passifs face à l’inspiration ; nous la subissons d’une certaine manière. Par contre, inversement, si nous allons la chercher au plus profond de nous-même, c’est nous qui sommes actifs.
Toujours est-il qu’après des siècles et des siècles de création artistique, le mystère plane toujours tandis que les artistes continuent à voltiger au-dessus de ces soucis scientifiques.
lundi 21 janvier 2008
DIALOGUE AVEC Alberto ONGARO
Monsieur Ongaro, vous êtes très peu connu en France. C’est avant tout votre carrière dans le monde de la bande-dessinée qui est reconnue. D’ailleurs, voici le maigre article qui vous est consacré sur wikipedia . "Alberto Ungaro est un scénariste italien. Avec Hugo Pratt et Dino Battaglia , il est l'auteur des bandes dessinées Junglemen et l'As de Pique." Point.
LE JARDIN SECRET DE STEPHEN KING
Certains auteurs sont archi-connus mais, curieusement, certains bijoux de leur bibliographie demeurent, hélas, à l’ombre de leurs best-sellers.
C’est le cas de Vue Imprenable sur Jardin Secret, une longue nouvelle de Stephen King datant de 1986 ?) dont il est fait allusion dans le merveilleux L’Ami Butler de Jerôme Lafargue dont j’ai fait l’éloge sur ce blog. Ainsi wikipedia, « la bible du web » n’en fait même pas allusion dans l’article qui est consacré à l’auteur américain.
Pourtant, depuis, celle-ci a eu l’honneur d’une adaptation cinématographique (2004) signée David Koepp et dans lequel figure la star Johnny Depp. Cependant, je doute qu’elle puisse faire honneur à ce petit chef-d’œuvre.
Morton Rainey est un écrivain reconnu qui vient de divorcer après avoir découvert dans un motel l’adultère de sa femme. Depuis, il s’est installé dans l’ancienne résidence secondaire du couple au bord d’un lac. Il s’apprête à vivre des jours paisibles. Seulement voilà, un jour, il est surpris par l’apparition d’un quadragénaire, affublé d’un chapeau noir caractéristique, au visage qui accuse le coup d’années difficiles et à l’accent campagnard horripilant. C’est avec consternation que Morton reçoit de la part de ce dernier une accusation de plagiat. En effet, le mystérieux intrus l’accuse ouvertement de lui avoir volé l’une de ses œuvres. Morton n’en revient pas. Pourtant, derrière sa porte, gît le manuscrit qui ressemble comme deux gouttes d’eau à la nouvelle écrite par ses propres mains. La nouvelle porte le titre de Vue Imprenable sur jardin secret. Le nom de l’auteur et de celui qui, inlassablement, résonnera comme un écho au cours du récit, lui qui ne cessera alors de le tourmenter, de le traquer, de le menacer, John Shooter.
Stephen King plante le décor de sa nouvelle de façon magistrale. Et de bout en bout, il se plaît à mener en bateau le lecteur avide de connaître le fin mot de l’histoire. On pénètre la psychologie tourmentée d’un écrivain, désireux de défendre coûte que coûte la paternité de son œuvre mais aussi tracassé par les démons de sa vie privée passée. En effet, Morton n’a pas vraiment fait le deuil de son mariage et c’est avec nostalgie qu’il se remémore sa femme en train de savourer avec délectation la vue imprenable et inédite qu’elle découvrait depuis la fenêtre de la petite buanderie dans leur ancienne demeure commune, son jardin secret. La tension psychologique de l’œuvre est alimentée par des réminiscences de moments-clés, de rêves et aussi par le surgissement ponctuel d’une voix intérieure que Morton tente de combattre de toutes ses forces. Serait-elle complice de l’accusateur ? Discrète au début, celle-ci se fait de plus en plus pressante au fil de l’œuvre. Alors que dans un premier temps, King nous amène à suivre la trame du récit comme une enquête policière, peu banale cependant, dont Morton se plaît à imaginer les tenants et les aboutissants dans les moindres détails et à nous conforter dans ce schéma, il prend un malin plaisir, par l’insertion de bouleversants événements, à bousculer l’interprétation et la vision du lecteur. Ceux-ci sont amenés avec une grande minutie et on revit les scènes-clés antérieures sous une lumière dérangeante et inquiétante, doublée de l’impression de vivre une supercherie comparable à celle que vit Rainey. L’une des plus marquantes est la deuxième rencontre de Morton avec le mystérieux quadragénaire. En effet, au cours de celle-ci Morton croise une vieille connaissance, Tom, qui lui fait signe. Plus tard, ce dernier avouera qu’il est convaincu que Morton était seul ce jour-là. On est amené à se dire que celui-ci doit être victime d’hallucinations mais on est encore bien loin néanmoins d’imaginer la dimension des maux dont il est victime.
Même si l’écriture de Stephen King n’est pas toujours irréprochable, on ne peut qu’être admiratif devant une telle ingéniosité.
Bien sûr, cette œuvre nous plonge dans une perspective réflexive sur la création littéraire. En effet, Shooter, par le biais de son jeu pervers, va aller jusqu’à remettre en question ce que Morton croyait acquis, ce qui constituait les fondements de son œuvre. Ainsi, il (et le lecteur en parallèle) est amené à se demander quels sont les moyens pour un auteur de justifier la paternité de sa création ? Peut-on être sûr que celle-ci n’est pas le fruit d’un vol conscient ou inconscient d’une œuvre d’un comparse ? A plus forte raison, les idées appartiennent-ils à quelqu’un ou sont-elles une source commune de laquelle puisent tous les artistes ? Ces interrogations, qui pourraient paraître distantes pour le commun des mortels, deviennent vitales pour l’auteur ; elles régissent sa propre identité.
A travers ce procédé, Stephen King semble vouloir exorciser ses propres craintes (tout comme Misery paru à la même époque de sa vie). D’ailleurs, on peut voir de notables points communs entre Morton Rainey et lui-même. Tout d’abord, il est originaire du Maine comme lui. Il a à peu près le même âge. Sa premières œuvre In a Half-World of Terror a été publiée dans un magazines ( la nouvelle de Morton pour laquelle il est accusé de plagiat est justement paru dans un magazine deux ans avant la date à laquelle Shooter admet avoir publié sa propre nouvelle).Aussi, l’anecdote du manuscrit de la nouvelle de Shooter repêchée dans la poubelle par sa servante n’évoque-t-elle pas les circonstances de l’élaboration de Carrie quand sa femme retira son manuscrit bafoué de la poubelle, le lit et le pousse ensuite à poursuivre son œuvre.
On peut rester perplexe devant l’importance que jouera ce petit détail dans la vie de l’homme.
Même si on peut ne pas apprécier le style Stephen King et que toute son œuvre est de qualité fort inégale, force est de constater que ce petit chef-d’œuvre, qui mérite assurément d’être moins méconnu, est une preuve qu’il a de la suite dans les idées et qu’il sait captiver le lecteur avec maestria. Pour le coup, on pourrait dire : « chapeau bas (noir) » !>Vue imprenable sur jardin secret est paru en France couplé avec Les Langoliers (que je n’ai pas lu) sous le titre Minuit 2 aux éditions Albin Michel(1991) dans une très bonne traduction de William Olivier DESMOND