mercredi 13 février 2008

PERSONNE de LINDA LÊ


Linda Lê fait partie des écrivains les plus ingénieux de sa génération.
Avec Personne, roman paru en 2003 chez Christian Bourgeois, elle se lance dans un chassé-croisé tourmenté dans lequel la réalité des personnages fait l'objet d'une remise en question dérangeante et obsédante.
Personne, figure centrale du livre, à la fois omniprésente et évanescente, personnage, rescapé de récits inachevés, désormais errant qui se plaît à s'immiscer dans les livres et à pactiser avec l'auteur pour poursuivre son destin. Seulement voilà, le narrateur qui s'est laissé prendre au jeu, se rend compte qu'il a été pris dans les filets d'un redoutable démon qui le hante nuits et jours. Refusant d'être réduit au rôle de pantin, il décide de se débarasser de lui.

Alternant tour à tour les carnets de Tima, veilleuse dans une salle de musée et les apartés du narrateur, Linda Lê tisse une toile de récits qui s'enchevêtrent les uns les autres et qui emprisonnent le lecteur dans une sorte de spirale déroutante, qui ne laisse pas indemme. Une fois pris dans le tourbillon, la confusion entre légendes, réalité et fiction, ombres et lumières l'étreint de façon incessante et indécente.

Personne est une invitation à se laisser posséder par les sortilèges littéraires et à découvrir les livres sous un autre oeil:
"Lui-même ne croyait pas à la littérature comme à une armée de mots bien entraînés, au garde-à-vous, et qui accouraient, tout harnachés, dès qu'on sonnait le rassemblement. Non, les mots, comme disait l'un de ceux qu'il relisait souvent, étaient de fragiles danseuses qui dansent jusqu'à ce qu'elles s'écroulent de fatigue. Ou, comme disait cet autre, une épée à poignée en forme de croix qu'on découvre un matin derrière sa tête, fichée dans son dos jusqu'à la garde, la lame glissée entre cuir et chair. Ou, comme lui-même le pensait parfois, des tortues des îles enchantés, qui rampent vers la mer sous la menace de sombres rapaces."

Ecrit avec un charme délectable et , en outre, grouillant de références culturelles enrichissantes, Personne est un livre ensorcellant à lire et à relire pour parvenir à apprécier pleinement ce dédale de récits.


>A découvrir:Linda Lê, Personne, paru en 2003 aux éditions Christian Bourgois.

samedi 2 février 2008

LE MANUSCRIT TROUVE A BARCELONE



1945, au lendemain de la deuxième guerre mondiale.
Daniel est accompagné par son père pour se rendre au cimetière des Livres oubliés, qui se trouve dans le quartier gothique de Barcelone. Il s’agit d’un lieu mystérieux dans lequel il devra « adopter » un livre qui lui tient particulièrement à cœur. Celui-ci tombe sur l’Ombre du Vent de Julian Carax et tombe sous le charme immédiatement. On devine très rapidement que des liens très intimes vont se tisser entre Daniel et le livre mais on ignore encore la nature précise de ceux-ci.

L’idée de départ m’a intrigué au plus haut point et c’est d’ailleurs celle-ci qui m’a décidé à découvrir plus amplement l’œuvre de Carlos Ruiz ZAFON. Je dois dire qu’on rentre de pleins pieds, sans temps d’adaptation, dans ce roman à tiroirs. Largement construit et inspiré sur le modèle du genre de Potocki, Manuscrit trouvé à Saragosse, L’Ombre du Vent regorge de récits, témoignages et autres lettres qui s’imbriquent les uns les autres et qui invitent le lecteur à une lecture rétrospective de l’aventure qui lui est contée. Cet original procédé narratif nécessite une lecture continue et une certaine mémoire de la part du lecteur qui décide de se lancer dans ces plus de 500 pages. Cela risque d’en rebuter plus d’un, d’autant que les personnages importants sont beaucoup plus nombreux que dans la moyenne des romans et que les secondaires pullulent. Même si cela contribue à la richesse et renforce la nature labyrinthique de l’œuvre, celle-ci aurait peut-être gagnée à être moins diffuse. Cependant, il est indéniable que Ruiz Zafon a un grand talent de conteur. Une fois lancé dans ces aventures énigmatiques, il est difficile de décrocher. Les personnages ont souvent un langage qui les distingue franchement les uns des autre et c’est quelque chose que j’ai trouvé franchement appréciable. On ressent bien le contraste entre les personnages impétueux d’un côté (par exemple, Fermin, homme de la rue, truculent qui est loin de pratiquer la langue de bois) et ceux qui offrent un ton beaucoup plus posé ( le père de Daniel notamment). Hélas, j’ai trouvé que certains cotoient un peu trop les clichés de la littérature classique et perdent du coup une partie de leur charisme initial. D’autre part, si certaines pièces du puzzle se mettent en place petit à petit, bien souvent de façon surprenante (le destin de Carax) et exquise, on peut regretter la prévisibilité de certains événements( voyez les apparitions de Fumero) et leur saveur bien inégale. Parmi les points positifs de l’oeuvre, on peut citer le charme des descriptions évocatrices d’une Barcelone à la fois proche de nous mais possédant aussi un cachet rétro très joliment retranscrit. Le récit appartient aussi à une période douloureuse de l’Espagne , naviguant entre dictature, guerre et séquelles d’un passé troublé. Dans ce contexte, Fumero est un personnage intéressant dans la mesure où il incarne remarquablement l’homme de pouvoir corrompu et prêt à retourner sa veste au moindre soubresaut de la vie politique pour y conserver une place de choix.

Enfin, Zafon est un grand conteur qui veut nous faire croire à la vie des livres. Ainsi, les maladresses qu’il commet et l’imperfection formelle de son œuvre restent à l’ombre de son charme qui réside avant tout dans le pouvoir qu’il a de susciter l’imagination du lecteur et de lui faire croire aux sortilèges des livres en le libérant de son aspect terne, inexpressif et inerte.




->à lire: Carlos RUIZ ZAFON, L'Ombre du Vent(Grasset, 2005)

mardi 29 janvier 2008

QUESTION D'INSPIRATION

Il m’arrive parfois de me demander quelle est l’origine de l’inspiration. Qu’est-ce qui fait qu’à certaines moments, une déferlante d’idées nous submerge tandis qu’à d’autres, nous souffrons d’une aridité désespérante que rien ne peut annihiler ?

Parfois, je me dis que celle-ci est d’ordre magique, quelque chose d’inexplicable, du moins en apparence. Victor Hugo disait à ce sujet : « Une idée est un météore », comme tombé du ciel.
N’est-il pas cependant trop convenu de se contenter d’une cause surnaturelle à tout ce qui nous échappe(comme la Création divine), nous, simples créatures mortelles ?

Pour contrecarrer l’idée bien romantique de l’inspiration proche de la grâce, on pourrait citer Jean Anouilh :

"Le talent est comme un robinet. Quand il est ouvert, on peut écrire. L'inspiration est une farce que les poètes ont inventée pour se donner de l'importance."
Certes, on pourrait alors supputer l’idée d’un monde dans lequel viendrait butiner tous les cerveaux de l’univers. Un lieu mystérieux qui s’apparenterait à l’étage supérieur de la noosphère, accessible seulement aux esprits les plus imaginatifs, perturbés par nulle entrave ; qui pourrait ressembler en quelque sorte au mythe de la caverne évoqué par Socrate dans la République de Platon.
Maintenant, il serait bien délicat d’affirmer si la collecte se fait de manière instantanée ou bien par réminiscence, comme chez le philosophe grec.
Cette idée est susceptible de déranger l’égo scrupuleux des artistes car elle invite à penser que l’origine de l’inspiration est commune à tous. Ainsi, comment oserait-on s’approprier les idées qu’on croyait sienne dans la mesure ou elle a été cueillie comme on arrache une fleur d’un champ ?

Par ailleurs, on peut se demander de quelles façons peut-on se connecter à ce monde insaisissable ? En rêvant, en étant à l’écoute de l’univers, ou en prenant des substances illicites comme certains poètes du Xxème siècle (bien que je ne recommande pas cet usage dont les effets ne sont pas tous de la même nature) ? Si les songes, par exemple, sont propices aux visions, à l’inspiration, c’est très probablement car ceux-ci sont dominés par l’hémisphère droit de notre cerveau et donc libérés de la rigidité de celui-ci. Ainsi, les courants d’inspiration semblent s’effectuer dans un mouvement proche de celui d’une fuite, de l’escapade. C’est pourquoi les plus grands visionnaires sont bien souvent aussi les personnes les plus déconnectées de la réalité.

D’ailleurs, sommes-nous égaux devant l’inspiration ? La faculté de se libérer du côté terre-à-terre de notre existence pour aller puiser ce qu’il y a de plus imperceptible est-il donné à tout le monde ? Car, si concernant le talent de la reconstitution artistique de l’inspiration, d’animer celle-ci, il apparaît que cela s’apparente à un don( qui s’exerce, il est vrai), il est bien loin d’être évident que ce soit de même dans le cas de l’inspiration. Et pourtant, la confirmation de l’une de ces hypothèses pourraient donner la clé de l’énigme. Si nous sommes comme touchés par la grâce, nous sommes passifs face à l’inspiration ; nous la subissons d’une certaine manière. Par contre, inversement, si nous allons la chercher au plus profond de nous-même, c’est nous qui sommes actifs.

Toujours est-il qu’après des siècles et des siècles de création artistique, le mystère plane toujours tandis que les artistes continuent à voltiger au-dessus de ces soucis scientifiques.