
Ana Clavel est une écrivain-plasticienne mexicaine, née en 1961, la même année que David Toscana, auteur du fantastique El ultimo lector.
Métailié, qui fête son trentième anniversaire cette année, nous propose depuis février dernier de découvrir son roman récompensé en 2005 par le prix Juan Rulfo, le premier à être traduit en langue française.
"Le viol commence par le regard. Quiconque se penche sur le puits de ses désirs le sait."
Les violettes sont les fleurs du désir est un court roman assez déroutant. Après un magnifique préambule, durant lequel le jeune Julian Mercader découvre le désir au travers des yeux de son professeur, aimanté par le corps d'une jeune élève sous la pluie, on comprend dès lors que le coeur de l'oeuvre se situe dans le domaine du désir.
On rentre très vite dans le vif du sujet. A la mort de son père, Julián Mercader a récupéré sa fabrique de poupées avec son ancien associé, Klaus Wagner. Ces poupées, auparavant simples jouets pour enfants, vont prendre une autre dimension. Bien plus que des objets inertes, elles incarneront désormais les plus inavouables des fantasmes. Julián a dérobé l'innocente image de sa fille Violetta pour la reproduire sur ces êtres désarticulés. En peaufiner les traits pour se rapprocher toujours plus de ce corps obsédant, pour effleurer du regard l'objet de son désir et revivre, selon sa fantaisie, les scènes qui l'ont rendu coupable de tentation inassouvie à jamais. Le regard est le prémisse du péché. A l'aide de phrases d'une grande poésie, Ana Clavel semble vouloir susurrer à l'oreille de son lecteur que c'est la suggestion, le silence le plus profond qui alimente nos désirs les plus ardents. Puits au fond duquel on plonge sans culpabilité, volcan endormi capable de faire rejaillir avec une violence insoupçonnée, ces désirs nés de la vision de ces corps impalpables qui hantent la victime.
"Pour que deux êtres se condamnent il suffit d'un regard. Pour qu'ils se reconnaissent et se palpent , pour qu'ils sachent le mot de passe, qu'ils dialoguent, se taisent, vocifèrent dans la langue sans parole du péché. Pour qu'ils la partagent avec ce lien indissoluble et irrésistible de la culpabilité glorieuse, celle qui provient du puits sans fond du désir, lequel n'est que faim et instinct. Un seul regard. Il n'en faut pas plus. Pour se perdre et aussi- pourquoi ne pas enfin le reconnaître?- pour se sauver."

Nous assistons à une sorte d'apothéose de la suggestion dans laquelle des figures légendaires comme Hans Bellmer, le créateur d'un monde plastique absolument fascinant, au sein duquel les poupées prédominent, ou le fulgurant écrivain uruguayen Felisberto Hernandez, s'immiscent à merveille. Il est fort probable qu'à la lecture de ce livre, vous ayez envie de vous plonger vers celles-ci. Ana Clavel ne s'est nullement refusée de modeler à sa guise l'histoire de ces dernières pour les imbriquer dans sa fantaisie littéraire.
En apparence, nous sommes devant un tableau sans failles. Et pourtant, je ne peux m'empêcher de regretter la construction assez bancale de l'histoire, l'absence de véritable intrigue. Les chapitres sont courts et malheureusement, cela a parfois tendance à rompre le rythme de la lecture. A mes yeux, un meilleur agencement de ceux-ci aurait sans doute conférer au livre le statut de chef-d'oeuvre. Certes, l'imagination du lecteur est alertée en permanence mais je dois dire que nous sommes devant un manque chronique de surprises. Hélas, de plus, j'ai trouvé celles-ci peu inspirées et mal intégrées à l'ensemble. Enfin, la chute du récit tombe sur le lecteur de façon assez inopinée.
Après tout, ces réserves ne remettent absolument pas en cause la qualité formelle et la fascination qu'exerce l'ensemble de l'oeuvre sur le lecteur.
Il s'agit d'un roman particulièrement original, qui sait aborder des thèmes délicats avec une sensibilité rare. C'est un sublime voyage sensuel auquel nous invite Ana Clavel.
