Enfin! Après de longues journées pénibles qui expliquent le rythme de publication de ce blog, je suis enfin à mon nouveau domicile. Ici, le calme bucolique a remplacé l'agitation urbaine au bord d'une rivière qui plonge doucement dans le lac léman. Ahhhh, le bonheur avec la montagne toute proche. Fin de la parenthèse personnelle.
Je ne suis guère friand du genre polar à l'accoutumée. Probablement à cause de la redondance des scénarios. Pourtant, un article de Anne-Sophie Démonchy sur son blog la lettrine a su attiré mon attention sur l'un d'entre eux, A l'ombre des humains, de Lalie Walker, un pseudo anglo-saxon qui signifie- apprend-t-on à la fin du livre- "celle qui marche ses rêves".
Le récit débute par un rêve, spécialité de l'auteur, dans lequel Frank Albertini tente désespérément de rejoindre sa femme, Jeanne Debords(personnage récurrent de l'auteur) disparue mystérieusement voilà un an. C'est un ex-inspecteur de police qui a raccroché depuis ce triste événement. Pourtant, de troublants crimes vont l'obliger à reprendre de l'activité dans une petite bourgade côtière, irréelle, dominée par d'immenses plaines grisâtres, balayée par des tornades démesurées. Les habitants ressemblent à des pantins bien disciplinés, dénués de souvenirs, dirigés par l'implacable Guillaume Carsov, dont la femme vient de subir un crime atroce. La folie semble s'être immiscée au sein de l'un de ces troublants êtres humains.
Le roman de Lalie Walker se caractérise avant tout par une ambiance onirique qu'elle réussit à mettre en place de façon envoutante. Au fil de pages et de la découverte de personnages évanescents au passé tourmenté, on se laisse happé par un monde pour le moins inquiétant, que n'aurait pas renié David Lynch (on pense à la série Twin Peaks). Ne s'attardant guère sur les situations, la narration morcelée de l'auteur renforce l'impression d'irréalité qui plane au-dessus de ce brouillard ambiant. Ici, le présent se dérobe à la logique et c'est dans les nombreux flash-back des personnages qu'il semble falloir se raccrocher pour déceler l'origine de ces sombres crimes. Les obsessions psychologiques des personnage(en tête, du côté d'Albertini, la disparition de Jeanne Debords) s'immiscent dans la narration pour déranger encore un peu plus le lecteur.
Même la brutalité de certains dialogues (des chasseurs de tornades notamment) ou de certaines pensées se heurte souvent de plein fouet au chapitre suivant à l'immatérialité de ce monde hors normes. Ici, tout ne semble qu'illusion.
Comment ne pas évoquer ce refrain macabre "Death is on the road but also love" , qui revient inlassablement et dont le rythme lancinant évoque le mythique "No se puede vivir sin amor" de Sous le Volcan, de Malcolm Lowry? Hymne à la déchéance programmée, le récit suit une courbe imprévisible dont on devine seulement la cruauté inéluctable.
Et si la clé du mystère se situait dans les passages les plus insaisissables dont ni l'auteur des propos ni le destinataire nous sont connus:
(...)"Nous avons parfois l'impression de vivre un rêve en provenance des royaumes obscurs. Nous ne sommes pas dupes, mon ange, ce n'est qu'une impression et, pourtant, plus réelle qu'un mirage. C'est une sensation aussi puissante que fugace, et qu'il nous faut tenir à pleines mains, sinon elle glisse et se dérobe comme un songe au petit matin. Mais où, mon ange, où s'enfuit-elle donc, qu'il nous faille encore et toujours recommencer?
Nous connaissons l'intense jubilation qu'il y a à se tenir incognito au coeur du drame, une perception proche de la jouissance sexuelle, ou de l'illumination."(...)
Ici, là bas, la brume est dense, très tenace mais finira-t-elle par se dissoudre un jour?
- La réponse dans le livre de Lalie Walker, A l'ombre des humains, paru en 2008 aux très bonnes éditions ateliers in8, dans la collection "noire de Pau".