samedi 13 septembre 2008

Le Grand Blondino de Sture Dahlström, fantaisie jubilatoire

Une fois de plus, je me suis laissé tenté par les recommandations d'un lecteur-bloggeur (en l'occurence Anne-Sophie Desmonchy et sa lettrine) pour découvrir un auteur inconnu à mon bataillon d'auteurs méconnus, un dénommé Sture Dahlström, figure de proue du roman suédois du vingtième siècle. Déconcerté par le surprenant Je pense souvent à Louis-Ferdinand Céline du même auteur dans lequel le personnage principal entraîne clandestinement le célèbre écrivain français dans le coeur de sa contrebasse, je souhaitais me laisser surprendre encore davantage. Autant dire que c'est chose faite avec cette fantaisie décapante, intitulée Le Grand Blondino, dans laquelle l'auteur ne s'abstient d'aucune audace scénaristique.

Eric Von Fitzenstrahl est un artiste multidisciplinaire dont la danse, l'écriture et le cinéma sont ses facettes les plus développées. Se considérant comme artiste visionnaire, proche de Dieu, mais incompris(comme l'écrivain Céline son idole), il ne recule devant aucune folie pour accomplir sa mission d'artiste authentique. C'est un homme qui vit sa vie comme un film, un film détonnant, cocktail improbable entre Bunuel, Lang et Eisenstein. Afin d'éviter de stagner dans le moule sans saveur de l'art populaire, ou pire, de tomber dans la routine qu'il considère comme le pire des fléaux de notre siècle, pas la moindre limite ne doit entraver ses élucubrations. Pour ne pas tomber dans l'indigence pécuniaire, il appâtera les plus aisés écrivains de la planète en se faisant passer pour un membre de l'Académie suédoise. Ses idées saugrenues alliées à une lubricité excessive l'entraînent bien souvent dans des situations périlleuses desquelles il s'extirpe avec une virtuosité et un art de l'improvisation hallucinants. Pour preuve, cette scène savoureuse des toilettes d'un train. Fitzo est en train de forniquer avec une charmante fille qui voyage avec ses parents. Après l'avoir discrètement attirée dans ce lieu obscur et secret, il se retrouve acculé par le contrôleur qui, averti de l'occupation démesurément longue du lieu intime, ordonne au couple licencieux de sortir immédiatement. C'est avec beaucoup d' hardiesse que l'homme se présente en pseudo-gentleman, accompagnant sa soeur aveugle aux toilettes. Il en profite même pour retourner la situation et mettre mal à l'aise le préposé du train, l'accusant d'impolitesse envers une personne handicapée.

Hélas, cette explosion d'idée n'est pas toujours du même acabit et il faut, trop souvent à mon goût, subir des scènes érotiques crues. C'est le gros point noir de ce roman qui aurait gagné à distiller avec un peu plus de parcimonie cette prose flirtant avec le vulgaire. Certes, cela est voulu et tend à faire ressortir l'un des caractères dominants de la personnalités de Fitzo. Cependant, ses côtés fantasque et mégalomaniaque sont représentés de façon bien plus subtile et saisissante à mes yeux. Ainsi, l'auteur jongle habilement entre les première, seconde et troisième personne du singulier pour désigner son personnage et rend impalpable la frontière entre réalité, fantasmes et art, accentuant la confusion qui anime cet homme, atteint de la folie des grandeurs.
Ce roman est aussi et peut-être surtout une parabole de l'art gangrené par des moyens démesurés, oubliant l'essentiel. La dernière partie s'inscrit parfaitement dans cette trajectoire où la surprise est le maître mot. Ainsi avec cet artiste ayant la foi en l'art véritable et tout à coup possédant des moyens démesurés, on suit un parcours menant inévitablement vers l'art factice, l'art dénué de sens artistique.
Pour illustrer ces propos, rien de mieux que cette citation de Benjamin de Casseres, précédant la deuxième partie:
"Nous vivons à une époque merveilleuse et dans un merveilleux monde anarchique de couleurs, de mouvements, de vibrations et de destructivité créatrice et étincelante... l'intellect a fait faillite, la vie elle-même explique la vie, et chaque seconde est un événement divin dans lequel toute la création prend corps. Nous devons railler l'existence à chaque instant, nous bafouer nous-mêmes, bafouer tout en produisant sans cesse des attitudes, des gestes et des attributs grotesques et fantastiques."


  • A découvrir: Le Grand Blondino de Sture Dahlström, paru en 2007 aux éditions Le Serpent à plumes, dans une traduction de Léna Grumbach et Catherine Marcus.

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