mardi 27 novembre 2007
OU SUIS-JE??
Où suis-je? Comment le saurais-je?Autour de moi, rien de concret. Rien de définissable. Il faut absolument que je reprenne mes esprits, que je parvienne à me situer dans cet espace inconnu. Mais comment pourrais-je caractériser toutes ces choses qui ne représentent absolument rien pour moi, ce flou incommensurable dans lequel j'ai plongé insensiblement? Hélas, je dois avouer à mon grand regret que je ne suis absolument pas capable de retracer le fil des évènements qui ont provoqué ma chute dans ce lieu indescriptible. Si seulement j'étais en mesure de le faire, peut-être entreverrais-je l'ombre d'un indice, la lueur d'un infime espoir..mais hélas rien de tout cela. Pourtant, il s'agit de l'une des seules choses à faire pour me repérer au sein des ténèbres dans lesquelles j'ai sombré imperceptiblement.
Je dois me rendre à l'évidence. Je ne puis apercevoir la moindre petite étincelle de lumière dans ce lieu d'une impénétrable obscurité. Néanmoins Dieu nous a doté de plusieurs sens dont chacun d'entre eux peut renfermer une valeur inattendue dans les moments les plus critiques. Il faut que j'en fasse usage coûte que coûte. Bon sang, pourquoi à cet instant précis me vient-il à l'idée d'invoquer Dieu alors que je n'ai jamais eu la moindre foi. Peut-être qu'après tout, il ne me reste plus que la providence pour espérer m'extirper de ce lieu infernal. Reprenons notre calme! Je ne vois rien, je ne sens rien, je ne me rappelle plus de rien. Soyons objectif, le tableau n'est guère encourageant.
Pourtant, il doit bien y avoir un moyen de s'échapper de ce cauchemar.
"Car je croyais au contraire faire un horrible cauchemar , je me disais que j'allais bientôt rouvrir les yeux pour constater que j'étais chez moi, que l'aurore éclairait peu à peu mes fenêtres: ce n'aurait pas été ma première nuit de sommeil agité après une journée de travail excessif. Mais non!"(extrait du Dracula de Bram Stoker)
J'essaie donc de reprendre les choses en mains. Je me lève avec peine. Mes muscles sont engourdis. Je n'avais pas encore pris conscience que j'étais replié sur moi-même. D'ailleurs, ma position de contorsinnioste au meilleur de sa forme m'invite à penser que j'ai dû exercer cet art dans une vie antérieure. Dois-je en conclure que l'on m'a jeté ici? Si oui, il doit y avoir nécessairement une trappe quelque part qui donne sur l'extérieur. Pour quelle raison obscure aurait-on bien pu me jeter ici? Serais-je un criminel condamné aux oubliettes par la justice? Bien que cette explication soit raisonnable, je ne puis l'accepter. Je me souviendrais au moins de quelque détail, même du plus anodin d'entre eux . Mais là, le trou absolu, le néant total ! Des scélérats m'auraient-ils injecté un produit somnifère et amnéstique avant de me je jeter dans ce trou à rats (dont même les rats semblent avoir déserté)? Je ne puis y croire.
J'arrive à me lever, avec difficulté cependant. J'ai la tête qui tourne terriblement, à tel point que le simple fait de rester debout constitue une épreuve extrêmement ardue. Après quelques secondes dans cette position ô combien instable, je tangue, je vacille, je tombe à la renverse. Bon sang, si déjà, je suis en grande difficulté pour faire les gestes les plus élémentaires, je crains que ma situation soit encore plus désespérée qu'à première vue. Pourtant, il faut bien que je récidive. De toutes façons , force est de constater que je suis condamné à chercher une issue. Avec peine, je tente de soulever mon corps de plomb. J'échoue, je récidive, j'échoue, je récidive...ce schéma se répète à plusieurs reprises avant que je puisse faire quelques pas , les mains placées en avant pour tenter de palper le moindre indice dans ce lieu désespérément obscur. Hélas, tout d'un coup, je trébuche et je reprends ma position initiale. Hélas, devrais-je dire hélas?? Je dois bien avoir trébuché sur quelque chose, et ce quelque chose pourrait constituer le premier élément reconnaissable dans cet univers affreusement méconnaissable. Malheureusement, cela semble avoir roulé loin de moi après que j'eus trébuché dessus. Il ne faut pas que je perde espoir pour autant. J'ai aussi , à ce moment précis, décelé -semble-t-il un cliquetis à peine perceptible. Le moindre élément qui sort de l'ombre pourrait être primordial pour mon évasion potentielle. Cependant, impossible de détecter le moindre changement ici-bas. Après plusieurs essais infructueux, je décide de me positionner à quatre pattes, tel un primate réagissant à ses instincts de survie , pour entreprendre ma recherche. Au moins, je ne pourrai guère tomber plus bas, me dis-je un peu bêtement je dois l'admettre. Au bout d'un temps incalculable, je parviens à remettre la main sur cette chose indéfinissable. Dans un premier temps, j'arrive vaguement à me rendre compte de l'irrégularité de ses contours. Après une analyse plus poussée, je parviens même à identifier, avec imprécision toutefois, la forme de l'objet que j'ai entre les mains. Une seule chose est sure: il ne doit pas s'agir d'une petite lampe torche salvatrice. Mais plutôt d'une sorte de gros cylindre, que j'imagine en bois. L'humidité de l'objet m'incite à penser qu'il a pris l'eau récemment. Cependant, je n'arrive pas à pousser mon analyse plus loin car je me rends compte que le sol sur lequel je suis posé remue sensiblement et qu'il craquelle lorsque j'évolue dessus. Je pourrais bien d'une minute à l'autre perdre pieds sur cette surface incertaine pour être précipité Dieu sait où. Il faut que je garde mon sang-froid malgré tout. Je dois donc me trouver sur quelque chose en mouvement. Petit à petit, je m'imagine l'espace dans lequel je dois être enfermé. Je suppose à peine car je n'ai toujours pas pu définir les contours de ma prison(comment envisager autrement cet espace?).
Tout d'un coup, alors que je tente de me relever après une nouvelle chute, je bascule fortement sur le côté et me cogne la tête contre une paroi. Je mets quelques instants à reprendre mes esprits et d'autres, plus longs encore, pour déduire que le choc que je viens de subir n'a rien d'onirique et que mon univers carcéral s'avère bel et bien concret.
Où suis-je? Cette question me hante l'esprit toujours et encore à tel point qu'elle résonne dans ma tête comme une rengaine insupportable. Au bout d'un moment, je la crie même ,en espérant, bien naïvement je dois l'admettre, que quelqu'un venu de nulle part , comme un ange tombé du ciel, prendra la peine de me répondre. Bien sûr, ce miracle ne se produit pas, mais l'acoustique de l'endroit me donne tout de même un indice sur le lieu dans lequel je dois me trouver enfermé. Un lieu clos, dénué d'éléments superflus. Loin d'être une révélation; cette confirmation a la mérite, malgré tout, de me rassurer.
Je décide de me reposer quelques instants. Alors que je m'apprête à poser mon dos contre la paroi, je me rends compte celle-ci semble être détrempée. Un simple passage de ma main sur mon dos me confirme dans l'idée que je suis bien dans un lieu humide. Un frisson parcoure mon dos. Jusqu'à présent, je n'avais pas encore eu le temps d'en prendre conscience mais désormais, je me rends aussi compte que je suis absolument nu. Cette modeste constatation provoque chez moi une soudaine sensation de froid , qui jusqu'ici m'avait épargné. J'essaie de remettre le peu d'idées qu'il me reste en ordre. Les éléments se remettent s'associent au gré de mon interprétation : le cylindre(un tonneau peut-être), l'oscillation du sol, l'humidité du lieu. Dans ma tête, les scénarios envisageables se réduisent. Je suis désormais persuadé d'être à bord d'un bateau. Plus exactement, dans la cale d'un navire;ce qui est moins réjouissant, je dois l'admettre. Rassuré, je ne suis certes pas sauvé pour autant, loin s'en faut.
Cela m'amène à méditer sur le fait que de tout temps, l'homme a toujours voulu trouvé une réponse à ses questions existentielles pour se soulager , au risque de se tromper lourdement. Je pense au géocentrisme, à l'exploration de la Terre et aux mystères de l'au-delà, aux religions. L'homme préfère avoir une idée fixe sur les sujets qu'il ne maîtrise pas plutôt qu'admettre son scepticisme. C'est la raison principale qui est à l'origine des religions. Etant dans l'ignorance de ce qui se passe après sa misérable vie, il s'est mis à inventer de toutes pièces des créatures qui présideraient à son sort dans l'au-delà et lui permettraient d'exister d'une façon ou d'une autre après la mort. Je suis surpris par cette digression, pour le moins inattendue dans un moment pareil où je sens que mon destin risque justement de basculer de l'autre côté. A certains moments, j'imagine mon sort de la pire des manières. Quoi de plus terrible que de mourir de faim ou de soif, ou même de froid? Heureusement, je me réconforte en imaginant que je renaîtrai de mes cendres comme le phénix que j'ai toujours voulu être. Ah si seulement, je pouvais survoler les terres et les mers en toute liberté!
Le bruit de l'eau. Cette fois-ci , mon idée se précise. Dans ma tête le refrain "We are all living in a yellow submarine" fait surface de la plus incongrue des façons. Je ne puis m'empêcher de penser que ma prison est beaucoup moins réjouissante et colorée que le monde sous-marin imaginé par les mythiques Beatles. Mais bon sang, que fais-je ici enfermer au milieu de je ne sais où? Qui aurait pu m'en vouloir? Pour quelle raison? Après tout, le seul crime dont on eut pu m'accuser dans ma morne vie est le fait d'avoir attiré dans mes bras les femmes mariés les plus séduisantes et les moins scrupuleuses. Or dans ce cas, celles-ci auraient dû m'accompagner dans ce lieu bien peu accueillant, à moins qu'il y ait un autre compartiment prévu exclusivement pour elles. Cela aurait pourtant bien pu égayer quelque peu les dernières heures de ma vie de la plus insolite des façons. Enfin, à ce que je sache, on ne balance pas les hommes de cette espèce dans la cale d'un bateau pour cette seule raison, sinon les villes seraient désertées aux profit des bateaux qui crouleraient sous le poids d'une horde de nouveaux arrivants . Des fanatiques auraient pu accomplir un acte terroriste. Après tout, la terre est remplie de cette espèce pullulante. Ou bien se pourrait-il que je sois recherché pour mon comportement révolutionnaire. Ayant toujours vécu en marge de la société, cette éventualité est bien plus envisageable. Me reviennent alors en tête le sort des plus exemplaires des hérétiques , parmi lesquelles figure le fameux Giordano Bruno dont les doctrines métaphysiques s'apparentaient à des divagations mystiques pour le clergé de l'époque. En tête de ce cortège de grands martyrs d'un autre temps qui défile devant moi, figure Jesus adulé par d'innombrables fidèles. Cela me rassure d'une certaine façon d'évoquer ces noms illustres car si je dois mourir, je préfère mourir en messie, en héros et connaître une gloire posthume plutôt qu'en vulgaire criminel même si je dois endurer les pires souffrances auparavant. Ah, l'homme est donc capable de se rassurer de façon bien surprenante dans les moments les plus tourmentés de sa vie. Vanitas Vanitatum et omnia vanitas...
Après toutes ces réflexions qui ne m'avaient, en définitive, force est de le constater, pas fait avancer d'un iota dans ma quête de liberté, je prends l'initiative, bien raisonnable ma foi, de faire le tour des lieux en restant contre la paroi. De la sorte, à moins d'une terrible et peu envisageable tournure, je devrais bien trouver une issue quel qu'elle soit, dans ce lieu maudit. C'est donc lentement mais sûrement que, littéralement plaqué contre la paroi humide pour ne pas m'en éloigner , que j'entreprends de déceler la moindre ouverture sur le monde que je connais. D'abord, je ne décèle pas la moindre différence , que ce soit de texture, de forme ou autre me permettant d'espérer m'extirper de ce calvaire. Pendant un long moment, je suis à l'affût de la moindre irrégularité salvatrice. Puis, alors que je commence à me demander si je ne me trouve pas dans une pièce inimaginable à une seule paroi, je tombe sur un angle. Horreur, comble de l'horreur, l'angle formé avec l'autre paroi que je commence à approcher n'est pas droit mais il forme une sorte de pointe , au bout de laquelle je me situe. Elle apparaît à mes yeux comme un pic acéré qui n'attendrait que moi pour me planter sournoisement dans le dos. Pourquoi suis-je horrifié de la sorte ? Je crois bien ne jamais avoir vu , ni imaginé dans mes rêves les plus fous une pièce qui ne soit grossièrement ni rectangulaire ni carrée, ni circulaire. Mis à part de rares architectes aussi fantaisistes que Gaudi, qui aurait eu l'audace d'envisager des formes aussi improbables. Nul doute que celle-ci évoque l'oeuvre du diable en personne. Cependant, l'absence de toute lumière et la fiabilité pour le moins incertaine de mes sens pris des terreurs les plus abominables ne me permettent pas de me fier complètement à eux. Jusqu'ici, j'avais été pratiquement épargné par la faim et la soif mais cet effroi réveille en moi les plus primaires de mes besoins que j'avais oubliés jusqu'à présent.
Pourtant, il est bel et bien hors de question de se laisser gagné par eux. Je risque d'avoir besoin de toutes les facultés qu'il me reste pour espérer revoir le jour. Il faut donc que je m'efforce à poursuivre mes aveugles recherches au pays des ténèbres.
Je reprends donc le fil de cette paroi sur un pas pour le moins hésitant. Cependant, je ne vacille pas et parviens malgré les soubresauts du plancher à atteindre un autre angle de ce lieu pour le moins étrange. Hélas, après avoir grandement progressé, je glisse, perds l'équilibre et tombe à la renverse. Il semblerait que le sol soit glissant. Je passe ma main sur sa surface pour en avoir le coeur net et constate qu'une fine couche de liquide a pris part sur le sol. Pourtant, il semblerait bien qu'elle s'est soit insinuée tout récemment. Je ne suis pas fou; je n'aurais absolument pas pu manquer de m'apercevoir de sa présence initiale. Serais-je en train de perdre imperceptiblement la raison dans ce lieu sans repères? Je ne peux m'y résoudre et continue tant bien que mal à tenter de déceler le moindre interstice dans cette maudite paroi qui constitue pourtant- je dois l'admettre- ma seule issue de secours potentielle.
Tremblant, un pas après l'autre, je reprends le fil de mes investigations. Chaque parcelle de paroi identique constitue pour moi un pas de plus vers le sort inévitable qui m'attend, mais que je n'ose point nommer. C'est ce mélange de crainte horrible, incontrôlée, et d'espoir insensé qui me fait avancer à tâtons dans cet endroit plus effroyable que jamais. Rien, toujours rien, pas la moindre lueur d'espoir, absolument rien! Cela en devient déprimant, terriblement décourageant. Pourtant, tant bien que mal, je continue toujours et encore sur ce même rythme hésitant entre la peur et l'espoir. L'étau se referme sur moi.
Effroyable constat! Je touche du doigt ma condamnation, ce qui doit constituer le troisième et ultime angle de ma prison éternelle. Mon coeur prend un rythme incontrôlable. Je frappe violemment le mur qui m'enferme.
C'est brutalement que je repars à l'assaut de la moindre faille possible. Je suis nerveusement le parcours de cette maudite paroi. Rien ne semble s'arranger puisque je me rends compte insensiblement que l'eau est passée d'un niveau dérisoire à inquiétant; elle dépasse désormais la hauteur de mes pieds. Mais d'où provient cette eau? S'agit-il seulement de ce fluide vital? Se pourrait-il que la paroi ne soit pas complètement imperméable? Est-ce que j'aurais pu tout à l'heure, actionner un mécanisme irréparable qui en soit à l'origine? Comment faire pour arrêter cette fuite? Les questions m'assaillent à une allure de plus en plus vive sans que je puisse prendre le temps d'y trouver des réponses. A vrai dire, je doute que celles-ci constitueraient une solution au tourment abominable que je suis en train de subir. Une chose est sure: mon malheur semble être complet. Pas de panique, il faut coûte que coûte contrôler mon rythme cardiaque. Fébrilement, je m'efforce de ne pas lâcher prise. Je fais face à la paroi en la sondant pour qu'elle divulgue ses secrets. Invariablement, je progresse sans faire la moindre découverte notable. J'ai l'impression de devenir dingue à répéter à l'infini les mêmes gestes inutiles. Epuisé, je hurle un cri rageur et désespéré qui ne ressemble à rien si ce n'est à une onomatopée, sortie tout droit du gosier d'un gorille pris des paniques les plus violentes.
Pourtant, je ne dois pas renoncer, il ne le faut pas. Je décide, en pataugeant dans cette flotte, de refaire le tour des lieux , dans le mince espoir de déceler ce qui aurait pu m'échapper jusqu'à présent. Après tout, vu mon état inqualifiable, cela reste dans le domaine du possible. Avec soin, je tente de ne pas manquer le moindre millimètre carré qui aurait pu m'échapper jusqu'à présent. Après en avoir fait plusieurs fois le tour, j'ai l'impression que les côtés de la paroi se rétrécissent à vue d'oeil (sans mauvais jeu de mots). Je suis désormais incapable de distinguer la réalité au milieu de mes incontrôlables impressions. J'ai l'impression de me trouver dans la partie inférieure d'une clepsydre, subissant l'inexorable coulée sablonneuse déversée par un petit être démoniaque. J'en viens à me tourmenter pour déceler le danger le plus pressant d'entre tous alors que l'eau m'arrive désormais aux genoux. Une sensation de froid m'envahit au fur et à mesure que l'eau monte. Je commence à me demander si je n'aurais pas mieux fait d'examiner le sol avant toute chose. Mais enfin, comment aurais-je pu deviner le fil des évènements dans ce monde où la logique semble avoir pris la poudre d'escampette? Quoiqu'il en soit, je ne peux pas revenir en arrière. De plus, indiscutablement, il est trop tard pour revoir mon organisation. Je tente de m'élever au-dessus de la marée montante pour toucher le plafond de ce lieu plus morbide que jamais. J'ai beau multiplier les tentatives, me surpasser. Rien à faire,celui-ci doit se trouver largement hors de ma portée. Cette fois-ci, mon compte est bon. J'ai exploré toutes les issues potentielles. En vain.
La brèche se referme sur moi. Je ne délire pas. Je suis bien ici, dans ce lieu maudit qui ne ressemble à rien qu'à un tombeau. Je suis sur le point d'être enterré vivant comme le vampyr de Dreyer.
C'est donc ainsi, je n'aurai même pas l'honneur d'une sépulture dont tout honnête homme peut prétendre. Je me mets à crier, à prier, à implorer qu'on me sorte de là. Je gaspille mes forces alors que celles-ci m'abandonnent petit à petit. Je me mets à imaginer une infâme créature qui m'observerait depuis un hublot dominant la pièce. Une créature démentielle ayant une tête de dragon, une queue de serpent et une haleine de bouc, qui prendrait un malin plaisir à me voir dépérir progressivement dans cette salle de tortures. Je joue le rôle d'une bête de laboratoire en cage. Je la vois savourer ma situation de cobaye avec un rire sardonique, chantonnant un air qui résonne dans ma tête comme une effroyable mélopée qui glace littéralement mon sang.
Alors que le niveau du liquide inconnu semble se situer désormais au-dessus de mes hanches, la soif s'immisce dans la mêlée de mes coriaces adversaires. Comme si la lutte n'était pas jusqu'alors suffisamment inégale. Longuement, je m'abstiens de goûter le breuvage inconnu qui côtoie mon corps engourdi. Pourtant, je ne peux guère longtemps résister à la tentation de plonger ma tête dans l'eau. Amère constatation! Celle-ci a un horrible goût de souffre, comme si cette substance avait été concoctée par un parfumeur charlatan. Un avant-goût de la mort peut-être?
C'est la fin, me dis-je. Aucun échappatoire envisageable. Désormais, la faim, la soif, le froid et la peur se sont donnés rendez-vous pour me tirailler comme une hydre à quatre têtes dont chacune d'entre elle symboliserait les différentes menaces de mort potentielles prêtes à déferler sur moi pour m'engloutir.
Je me sens de plus en plus cerné par les parois. Je sens qu'au fil des minutes, la raison m'échappe progressivement. Je me vois déjà en train de tenter de me débattre vainement dans cette flotte qui monte inexorablement ou d'essayer de repousser les parois qui sont sur le point de me broyer comme de la vulgaire viande animale. Quelle horreur! Je me dois alors de revenir à des espoirs plus modestes. C'est terrible à avouer mais ma quête consiste dorénavant bien moins à m'échapper qu'à trouver la mort la moins abominable possible. Oui, je me résoue à chercher un instrument qui pourrait me servir à écourter la fin affreuse qui m'attend inexorablement. J'ai beau m'agiter dans tous les sens, ma recherche s'avère tout autant infructueuse que les autres. Pour finir d'achever mon funeste sort, la faim revient au galop et absolument rien ne semble pouvoir mettre fin à ma torture qui s'avance vers moi comme le cavalier sans tête lancé à pleine allure.
Définitivement désespéré, je me laisse tomber contre la paroi. C'est alors que quelque chose d'inattendu se produit. Je mets la main sur un levier insoupçonné. Je m'empresse évidemment de le tirer sur-le-champ. Miracle, miracle, l'air de Queen accompagne celui-ci! Se pourrait-il que les dangers s'éloignent, que les eaux se rétractent et que la progression de ces murs soit stoppée? J'en suis convaincu. Je ne puis en douter. Je suis sauvé, je suis vivant. Alleluia m'écrie-je. Je suis pris d'une frénésie indomptable. Mon abominable périple vient de prendre fin.
A mes hallucinations succèdent une amère constatation. Cet acte que je pensais salvateur n'a pas eu le moindre pouce de conséquence sur mon environnement hostile. Je deviens fou, littéralement fou. Désormais, je divague largement et c'est comme si ce lieu cauchemardesque était doté d'une âme propre. J'ai l'impression d'être emprisonné au milieu des tentacules d'une pieuvre gigantesque qui me dirait que je perds mon temps à vouloir me débattre. Heureusement, une licorne galope vers moi pour me transporter dans le monde de la lumière. Son allure bondissante et altière m'emmène bien loin d'ici. Un ange vient m'accueillir au bout de mon long voyage et me prend par la main sous un ciel d'une luminosité éclatante. Mes élucubrations prennent les formes les plus extravagantes. J'imagine le génie d'Aladdin arrivant à la rescousse de nulle part pour me sortir de ce bien mauvais pas. Dans ce cas, un seul voeu suffirait amplement à me combler. Hélas, il s'agit d'un fantasme de plus et il n'y a pas la moindre trace de lampe qui pourrait concrétiser le plus fou de mes rêves. Mon sort est tellement terrible que je n'ai même plus la force de me cogner la tête contre les murs pour reprendre mes esprits. La fatigue semble s'emparer de moi. Je me laisse glisser contre la paroi pour récupérer. Je m'englue, je vacille et je sombre au pays des sirènes et des créatures féeriques sans penser le moindre instant que c'est la plus maléfique d'entre elles qui se présentera à moi à la fin de mon interminable voyage.
Des trompettes aux sonorités affreusement stridentes. Dies Irae! En comparaison, celui du requiem pourrait s'apparenter à l'air d'une contine pour enfants. L'heure du réveil a sonné! Où suis-je? Mon embarcation atteint enfin la rive, aux confins de l'horreur. Des terres extrêmement inhospitalières s'ouvrent à moi. Comment aurais-je pu imaginer qu'on eut pu descendre d'un palier vers l'enfer après avoir déjà vécu le comble de l'horreur. Dans ma jeunesse, j'avais parcouru l'illustre ouvrage de Colin De Plancy qui peint le monde infernal et je dois avouer que c'est avec un grand plaisir que je voguais au milieu de ce bestiaire. Je dois admettre,qu'avec le recul, leurs couleurs m'apparaissent fort édulcorées au vue du folklore improbable qui se présente dès lors devant moi. A l'heure qu'il est , ce sont les amis de Satan qui prennent un malin plaisir à m'accueillir au bout de ce fleuve sur lequel je naviguais depuis un moment incalculable. Chacun de ses acolytes me dévisage sournoisement , avant de me tirer la révérence d'un air obséquieux et d'autant plus effroyable. Leur regard est absolument terrorisant!Qui aurait pu deviner que ce serait de ces créatures terriblement répugnantes que j'obtiendrais le plus profond des respects apparents? Le décor de ces nouvelles contrées est absolument terrifiant. L'obscurité absolue, comme si ici, le Soleil avait oublié d'émerger. Seuls les yeux rouges vifs de ces monstres dantesques parviennent à percer les ténèbres environnantes. Le climat y est désespérément aride et volcanique à tel point que Mercure pourrait paraître une planète froide en comparaison. J'étouffe littéralement dans cet air irrespirable.
J'essaie de crier; aucun son ne sort de ma bouche. Je me rends compte que je ne suis absolument plus maître de mes mouvements, comme si j'étais désormais condamné à subir le sort d'une malheureuse marionnette dont les fils seraient agités par les êtres les plus malsains de l'univers. J'ai l'impression de suivre le parcours de mon enveloppe corporelle , et non plus d'y participer comme par le passé. C'est donc dans cet univers infernal que je devrai séjourner pour l'éternité. Jamais je n'aurais pu m'attendre à une fin aussi affreuse. Je garde cependant l'intime espoir que je suis sur le point de me réveiller après avoir vécu le plus improbable enchaînement d'événements cauchemardesques. Bon sang, comme pour me faire basculer définitivement dans ce monde infernal, la phrase de Rimbaud me revient alors en tête: "Je me crois en enfer, donc j'y suis."
C'en est fait, j'ai définitivement basculé dans ce monde infernal. Je vois une créature s'approcher de moi, infiniment plus terrorisante que les autres. Elle se distingue par sa carrure démesurée, sa prestance royale et surtout par un symbole ésotérique trônant sur son crane dégarni. Son regard est encore plus pétrifiant que celui de la légendaire méduse. J'aimerais à l'instant être animé du courage de Persée pour pouvoir déjouer le sort qui m'attend mais je ne suis plus qu'un pantin inanimé, condamné à aller de l'avant. La distance qui nous sépare est de plus en plus imperceptible et l'horreur encore plus perceptible. Plus que quelques pas entre lui et mon fantôme. J'aimerais me jeter dans la lave qui me cerne de toute part pour pouvoir éviter d'avoir à jouer le rôle de Faust et d'avoir à sceller un pacte maléfique que je risque de regretter ad vitam eternam. Hélas, je ne suis plus que l'ombre de moi-même.
Les craintes les plus terrifiantes se concrétisent alors qu'il me prend la main comme son nouvel hôte. Il me dit le plus calmement du monde ,comme s'il me connaissait depuis toujours, comme si même je faisais partie de ses acolytes, et qu'il avait suivit mon parcours jusqu'ici:
"Bienvenue en enfer cher ami, j'espère que le voyage que vous venez de faire s'est passé à votre aise. Je suis persuadé que vous vous plairez dans ce lieu... merveilleux."
A côté de moi, mon journal, unique témoin de mon voyage halluciné dans une quatrième dimension.
Longtemps encore, je revoyais ces scènes insoutenables comme si je les revivais inlassablement.
Aujourd'hui encore, je me rappelle de ce récit tourmenté, cette lutte incessante pour exorciser toutes les images qui avaient pris forme dans mon univers cérébral. Maintenant que je suis arrivé au terme de celle-ci, on peut déclarer que les mots ont terrassé mes angoisses. Toujours est-il que ce sont ces visions irréelles que je garderai en mémoire, bien plus que la chute traumatisante que je fis dans la cabine de mon navire et qui me fit basculer dans cet état désespéré.
A l'heure qu'il est, si j'ai pu retracer le fil de mes hallucinations, les frontières impalpables que j'ai dû franchir durant ce périple extraordinaire me demeurent toujours insaisissables.
Où suis-je? En fin de compte, cela m'importe peu. Je sais simplement que je suis plus vivant que jamais et que je reviens de loin, de très loin...
Jerôme Lafargue, illusionniste dans L’AMI BUTLER
Amoureux de la magie de la littérature et de ses sortilèges, ce livre est fait pour vous…
L'histoire, c'est celle de Johan Lunoilis qui est réquisitionné sur les lieux de disparition de son frère jumeau Timon. Ce dernier, romancier de renom a décidé de fuir les feux de la rampe en compagnie de sa femme souffrante dans une ville mystérieuse, nommée Riemech, pour entreprendre la biographie d'écrivains imaginaires. Or, le couple vient de disparaître de façon inexplicable. Heureusement, le bureau abandonné de Timon constituera une mine d'informations pour comprendre sa démarche créatrice et sa vie, intimement associées. On devine que Johan, son frère jumeau sera le plus à même à les déchiffrer .
D'emblée, on est séduit par le style subtile et imaginatif de Lafargue, remarquable dans les différents registres de ce roman. Les inertes témoignages vont se substituer à la présence des disparus pour donner vie au monde intriguant de Timon. En effet, si l'enquête de Johan est vécue au présent, les clés de l'histoire sont les oeuvres qu'a laissées en vrac son frère jumeau. Son journal et ses biographies, tel les pièces d’un énigmatique puzzle à différentes facettes, vont se remettrent petit à petit en place.
C'est par l'une de ses biographies que débute ce livre. Il est question d'une certaine Maria Sombrano, une Chilienne qui n'est jamais parvenue qu'à créer de vaines ébauches , quelques prémices d'oeuvre sans réussir à les poursuivre outre mesure. Son état s'étant empiré, certains écrivains célèbres (réels) sud-Américains lui ont alors rendue visite pour donner vie à ces débuts d'histoires balbutiantes. En exerçant cet art, qui s'apparente à la maïeutique littéraire, l'état de santé de cette femme s'est améliorée de façon bien insaisissable.
On comprend dès le début que le sujet de ce prologue deviendra la clé de voûte du roman dans lequel on navigue en terres inconnues, dans une sorte de brouillard duquel le lecteur ne parvient pas à s’extirper. On pourra inévitablement rapprocher son univers à la ville mystérieuse dans laquelle Johan est dépêché. Celle-ci est un lieu inexplicablement lumineux au milieu de contrées grisâtres. Est-ce une pure coïncidence si « Riemech » est une anagramme du mot
« chimère », et si Lunoilis en est une du mot « illusion » ? Comme celle que vit le lecteur incrédule au rythme des fourmillantes subtilités romanesques. Celles-ci confèrent au récit une atmosphère troublante. Le lecteur, interloqué est embarqué dans un univers imaginaire où l’usage de formes littéraires impromptues bouscule notre approche (les revues journalistiques auxquelles à recours Lafargue ne sont-elles pas les témoins de la réalité par excellence, alors que la teneur des faits relatés est en l’occurrence inventée?). Ici, les références culturelles réelles côtoient sans cesse les éléments purement fictifs. Ainsi l’apparition de Jose Luis Borges dans la vie de Maria Sombrano sème la confusion chez le lecteur. L’ombre de Owen W. Butler (troublante évocation du poète romantique irlandais William Butler Yeats) dont la vie est l’une des créations littéraires de Timon, plane sur cette troublante histoire. Lafargue nous renvoie explicitement à Vue imprenable sur jardin secret, longue nouvelle de Stephen King, dans laquelle un écrivain recevait la visite d'un confrère venu l’accuser de plagiat.
Lafargue évoque à travers Timon et ses oeuvres la magie, la puissance créatrice, le thème du double et de la falsification. Il semble cerner au mieux la psychologie et la passion d'un écrivain qui ne vit que par la création littéraire et ce qui tourne autour, un être passant aisément pour un possédé aux yeux du commun des mortels. Le mouvement F.A.C.T.I.C.E., Front Autonome qui Cherche et Trouve d'Imaginaires et Curieux Ecrivains, est une allusion détournée à ce monde intérieur et le fait que Timon en soit fondateur, membre unique et président révèle l’égocentrisme névrosé de l’écrivain.
Lafargue semble vouloir affirmer que l'oeuvre menace à tout moment de prendre le pas sur la vie de l’artiste passionné. Son talent majeur est indéniablement de savoir perturber le lecteur d’une façon remarquablement subtile. Même la conclusion de ce récit ne suffira pas à évanouir le mystère évanescent qui émane de celui-ci.
Assurément, après la lecture de ce fabuleux livre, vous n’envisagerez plus les personnages des romans que vous lisez de la même façon. Les démons de Timon Lunoilis risquent de vous hanter bien longtemps encore…
jeudi 22 novembre 2007
Une anémone dans un parking souterrain-Un mojito à la place d'un café-l'impossible calcul de Manor-petit ange.. ou L'ECRITURE SELON HARUKI MURAKAMI
1-Une anémone dans un parking souterrain
2-Un mojito à la place d'un café
3-l'impossible calcul de Manor
4-petit ange
Voilà ce que j'aurais pu écrire pour résumer ma soirée d'hier. C'est sûr, pour vous, lecteur anonyme, ces quelques lignes seront aussi insignifiantes que le langage hiéroglyphique. Cependant, pour moi, celles-ci sont des points de repère, un condensé évocateur qui me permettent de restituer le fil de ma soirée.
"Voici ce que j'ai noté:
1.Chute de l'Empire romain
2.Révolte indienne de 1881
3.Invasion de la Pologne par Hitler
Comme ça, je suis sûr de me rappeler avec précision ce qui s'est passé aujourd'hui, même dans une semaine. Le respect scrupuleux de ce procédé me permet de tenir mon journal depuis vingt-deux ans, sans manquer une seule journée. Chaque acte significatif a son procédé particulier."*
A la fin de l'une de ses nouvelles, Haruki Murakami a écrit ces lignes.
Pour moi, elles reflètent bien la démarche créatrice de cet écrivain hors normes. Un artiste qui va chercher la part incongrue, mystérieuse enfouie dans la banalité du quotidien. Un être qui n'hésite pas à bousculer nos idées reçues pour transfigurer l'image pâle de nos vies éphémères. Car chaque personnage de Murakami pourrait se rencontrer aussi bien au sein d'une station de métro de Tokyo, dans un quartier abandonné de sa périphérie tentaculaire- que Murakami se plaît à évoquer - qu' à deux pas de chez nous. D'ailleurs, la proximité que l'on éprouve à l'égard de son écriture est intimement liée à l'empathie que l'on ressent à l'égard de ses personnages. Pour ma part, je dois dire que c'est sans mal que je pourrais me reconnaître, d'une façon ou d'une autre, en chacun d'entre eux. Le plus souvent, on a affaire à des hommes avoisinant la trentaine, déconcertés par la tournure des évènements mais qui se plaisent à évoluer dans cet univers incongru, et à tourner en dérision leur situation de façon pour le moins savoureuse. Des voraces de littérature, passionnés de musique(classique et de jazz avant tout) ou de cinéma d'auteur, des hommes sensibles, émouvants, ayant un penchant prononcé pour la bière et les histoires d'une nuit(pour ces deux derniers, je m'en éloigne, je dois dire)
Murakami est un auteur dont le talent de narrateur est troublant. C'est comme s'il nous guidait en nous prenant par la main pour nous accoutumer progressivement aux images, aux sons, aux odeurs, aux personnages, aux mystères de ces contrées urbaines ou sauvages. Je dois dire que jamais des éléments méconnus ne m'avaient paru aussi évocateurs. Aucun doute, Murakami est un magicien, certes, mais un magicien qui a les pieds sur terre et la tête dans les étoiles. Grâce à un talent hors pair, il nous apprivoise de fil en aiguille de mille et une façons aussi bien en distillant un vieux morceau de jazz, en décrivant le crissement de la neige sous les pas, ou bien en nous faisant percevoir les variations climatiques en montagne, ou la caresse d'une bise printanière.
Le talent indicible de Murakami : savoir nous transporter grâce à des descriptions simples, parsemées de détails incongrus. Les impressions diffuses et les sentiments s’immiscent chez le lecteur de la plus subtile des façons. Pourtant, il est bien loin d’abuser d’artifices linguistiques. Non, il se contente d’animer (au sens étymologique du terme) son monde et les personnages qui le peuplent. Malgré l’étrangeté des situations auxquels ils font face, ceux-ci se montrent étonnamment circonspects et philosophiques. Ses personnages sont ancrés dans une société en apparence banale et Murakami se plaît à nous imprégner de la routine de leur vie par moult détails. Peu à peu, par un habile jeu de contrastes saisissants, ils vont flirter avec un univers rocambolesque et insaisissable. Nous naviguons ici tout près de la frontière impalpable de mondes parallèles. Ainsi, sa plus grande audace est de déconnecter les rouages rationnels de notre existence sans pour autant que l’on perde tous nos repères. Murakami est un illusionniste qui déjoue notre perception du monde pour la troubler insensiblement. Que ce soit par une pluie de poissons (dans le récent Kafka sur le rivage), par l’extinction de voix d’une jeune fille grassouillette (dans le merveilleux La Fin des Temps) ou l’apparition d’un monstre vert indestructible (une référence surprenante à la nouvelle de Gerard de Nerval dans le recueil L’Eléphant S’Evapore). La sienne est largement empreinte de l’état d’esprit shintoïste. Au niveau littéraire, les influences sont multiples et évoquées de façon anodine à travers ses personnages. Citons principalement Kafka, les modernes russes et tout un pan de la littérature fantastique. Japonais dans l'âme, culturellement attaché à l'Europe, Murakami est avant tout un auteur universel qui se démarque de tous les écrivains contemporains par un style d’une fluidité phénoménale. C’est un artiste extraordinaire dont peut se délecter des pages infiniment encore après sa lecture.
Si par hasard, un sentiment de mélancolie vaporeuse vous étreint à la suite de l’une d’entre elles, nul doute que vous venez de subir le charme de l’une de ses aventures intemporelles, naviguant entre songe et réalité, dont il a le secret.
Haruki MURAKAMI est un auteur très populaire au japon. Cependant, il n’a bénéficié que d’une reconnaissance tardive en Occident. C’est pour cette raison que la date de parution de ses ouvrages dans son pays d’origine et dans la langue de Molière diffère nettement. Depuis quelques années, bon nombre de ses ouvrages sont disponibles en format « poche ». Signalons le travail admirable de sa traductrice principale , Corinne ATLAN, qui a su préserver toute la finesse de son travail. Quand on sait la difficulté que requiert la tâche aussi délicate de transcrire ce texte depuis une langue aussi éloignée que la notre, on ne peut que la féliciter.
Dernière petite précision non négligeable. Pour éviter de gâcher les fourmillantes surprises que recèlent ses aventures, je vous recommande vivement de ne pas vous jeter sur la 4e de couverture (trop explicite) de ses livres avant d’en avoir tiré la substantifique moelle.
Œuvres sélectives :
-L’Eléphant s’Evapore (Seuil, 1998) , porte d’entrée idéale et condensé de son art
-La Fin des Temps (1985/92, Seuil), merveilleuse fantaisie oscillant entre deux mondes, récompensée par le prix Tanizaki.
-Les Amants du Spoutnik (1999/2003, Belfond), histoire extrêmement poétique.
-Pour aller plus loin sur le net.
*extrait de la nouvelle La chute de l'Empire Romain...publié dans le recueil l'Elephant s'Evapore
mercredi 21 novembre 2007
GAUDI et LA CASA BATLLO
Je sors d’un week-end à Barcelone et une fois n’est pas coutume, ce sera pour moi l’occasion d’évoquer l’oeuvre fascinante d'un architecte hors du commun,Antonio Gaudi. Quand j’ai relaté à ma meilleure amie les formidables impressions que m’avaient laissées l’incroyable Casa Batllò, elle fut comme éberluée que je ne connaissas point cet architecte de génie. Je dois admettre après coup que j’ai un peu honte d’être complètement passé à côté d’une œuvre aussi marquante et novatrice. Il faut reconnaître à ma décharge que de nos jours, le monde foisonne tellement d’œuvres que celui-ci a pris la forme d’un chaos incommensurable.
Pour donner une petite idée de ce que représente l'univers de la Casa Batllò, suivez-moi à l'intérieur, je vous y invite. Imaginez que vous plongiez dans un monde sous-marin fabuleux aux courbes onduleuses improbables, inspirées de la formes des créatures aquatiques. Admirez comme la lumière pénètre légèrement grâce à une géométrie audacieuse, comme l'air s'engouffre naturellement pour conférer à ces lieux une quiétude sensorielle. Ici, tout n'est que calme et volupté. Profitez de la terrasse et de ces mosaïques aux couleurs fantastiques. Observez le carrelage, la façade et les sculptures qui marient à merveille soucis à la fois environnemental et esthétique. Retournez à l'intérieur pour vous imprégner de ce lieu magique. Vous vous rendrez compte en vous élevant par cet escalier tourbillonnant , au milieu de ce décor dont les parois sont subtilement colorées grâce à un dégradé bleuté du plus bel effet, que vous êtes réellement dans un lieu vivant, un monde que n'aurait pas renié Jules Verne. Le grenier vous attend pour vous enchanter. N'avez vous pas la troublante impression de pénétrer dans le corps d'une baleine? Quand vous referez surface sur les toits de cet incroyable édifice, c'est toute la ville que vous pourrez embrasser de vos yeux. Ne sentez-vous pas un sentiment de manque vous envahir comme s'il fallait regagner ce cocon harmonieux au plus vite?
Une chose est évidente à la suite de cette visite. Gaudi est un visionnaire qui a compris bien avant tous les architectes contemporains la nécessité de s'inspirer de la nature et d'y puiser ses meilleurs éléments pour la recréer le plus ingénieusement possible. Finalement, la nature n'est-elle pas le plus authentique et le plus fascinant des modèles desquels s'inspirer?
Pour résumer cette oeuvre d'art magistrale, je dirais que Barcelone justifie une visite pour ce seul et unique lieu.
mardi 20 novembre 2007
LA TAVERNE DU DOGE LOREDAN, ou le lieu de rencontres des amoureux du monde secret de la littérature
" On dit que certains livres sont diaboliques. Voire dangereux. Qu'ils peuvent changer l'ordre des choses."*
Nul n'est besoin de préciser pour ceux qui me connaissent un tant soit peu que j'étais intrigué. Il était vaguement question d'un manuscrit poussiéreux dissimulé sournoisement au-dessus d'une étagère d'un palais, par le mystérieux alter ego d'un ex-marin vénitien, reconverti éditeur typographe. Etrange me direz-vous? D'autant plus que ce livre inconnu, aux pages manquantes, allait entraîner notre personnage dans une aventure aussi palpitante que troublante. On pense inévitablement au Manuscrit Trouvé à Saragosse de Potocki, illustre référence du roman à tiroirs, dont Ongaro ne cache pas la filiation. Grâce à son aventure menée à tambour battant, son langage enlevé et précieux, son humour débridé, cet ouvrage allait complètement me séduire, m'enivrer, m'ensorceler. Depuis, j'ai refermé la dernière page de ce livre envoûtant et une profonde mélancolie s'est emparée de moi, ce genre de sentiment lancinant indescriptible qui s'empare de vous pour ne plus vous lâcher avant longtemps.
Dès lors, la littérature a pris une tout autre dimension à mes yeux ; elle est devenue ma compagne favorite. Certes, j'avais déjà un goût affirmé pour elle mais plus que jamais, les mots me fascinent. Elle s'est transformée en royaume mystérieux qui renferme des merveilles insoupçonnées, des perles inestimables,des trésors abandonnés, enfouis au plus profond du microcosme des mots. Ceux-ci ne demandent qu'à être dénichés par les débrouissailleurs de récits captivants.
Grâce à ce modeste blog, j'espère pouvoir vous donner envie de découvrir des écrivains injustement méconnus et de partir à l'aventure de leurs oeuvres. Ce sera aussi l'opportunité pour moi de vous présenter des auteurs, aux noms plus évocateurs qui ont marqué de leur empreinte ma sensibilité littéraire. Comme j'estime que les arts sont comme une toile d'araignée dont les divers fils se recoupent les uns les autres, je ne manquerai pas d'évoquer occasionnelement mes coups de coeur dans des domaines autres que la littérature.
Comme bon nombre de lecteurs assidus , je m'attelle à l'écriture pendant mes heures perdues... Ce blog sera donc une porte d'entrée à mes essais littéraires. Je laisserai également la place à tout un tas de réflexions légères, ou plus existentielles sur la vie, le rêve, les personnes et le monde qui nous entourent.
Avant tout, je voudrais donc remercier Alberto Ongaro car, sans la découverte de cet ouvrage fascinant, je n'aurais probablement jamais développé une passion si dévorante pour cet univers extraordinaire qu'est la littérature. J'invite donc tous les amoureux de ce cosmos enchanteur à venir butiner les textes qui suivront, à faire part de leurs commentaires prolifiques et à échanger avec moi leurs points de vue en toute liberté.
Bienvenu à vous, ô humble voyageur, dans la taverne du doge Loredan...
*extrait d'un article du site de Télérama paru le 05 mai 2007 (télérama 2990)
-A découvrir: ONGARO Alberto, La Taverne du Doge Loredan (Editions Anarchasis,2007)