Sa dernière oeuvre, la sixième, voit le jour dans quelques semaines. L'occasion pour votre serviteur de s'y plonger corps et âme.
Si on se réfère à la quatrième de couverture, c'est à un recueil de six nouvelles, six contes, ou six variations autour de la sexualité et de ses écarts, auquel nous sommes conviés. Entrecoupé par des entractes qui sont autant de façons de méditer ces histoires, le récit jouit d'une construction articulée autour d'une conversation entre un narrateur et une fille qui semble faire naître dans le sein du premier, dans l'âtre du château quelques frissons, quelques soupçons de pensées indicibles. L'évocation des ruines d'Orsanne, sa vie et ses mystères, ses pièces chargées d'histoires, immiscent rapidement cette ambiance si particulière que Robert Alexis est capable de créer, ce parfum d'un âge qui semble appartenir au passé, qui se prélasse dans un temps, non pas tant révolu que re-voulu.
Le premier récit, Le banc, lui aussi, nous étreint par sa progression lente et d'autant plus hypnotisante dans la perversité. Nora aperçoit subrepticement une figurine derrière une vitrine. Cette figure de femme au corps généreusement dévoilé à un parterre de soupirants avive chez la jeune fille, qui se la procure, le goût de l'indécence, l'envie de basculer de l'autre côté du miroir, de s'adonner à des jeux interdits, de se donner à l'inconnu, de s'abandonner complètement.
Les idées qui guident ces courts récits ne manquent pas. Dans Celso, Giacomo est fasciné, jusqu'à l'obsession, par la perfection esthétique de l'homme qui donne le nom au récit, jusqu'au point de ne plus être tout à fait lui-même, ou plutôt, d'être tout à la fois Giacomo et Celso. Une expérience qui le mènera au bord de l'ivresse ou de la folie, car la frontière entre les deux est insaisissable et les deux notions flirtent l'une avec l'autre. Pourtant, la suggestion, si chère à Alexis, s'estompe quelque peu, cédant le pas à un rythme saccadé, par des va-et-vient qui, loin de faire voyager, ont tendance à faire perdre le fil du récit. Des enjeux divers, les guerres intestines, les enjeux familiaux, enrichissent, certes, le récit, mais donnent surtout l'impression de desservir la limpidité de la narration.
Le Dahlia noir avait encore de quoi accaparer l'esprit du lecteur, le conquérir. Un comptable d'une grande firme de Boston apprend qu'il hérite d'une fortune aussi surprenante que conséquente. En se retirant dans une clairière perdue à l'écart d'une bourgade de l'Oregon, le personnage fait la rencontre d'un indien, qui lui apprend les rudiments de la chasse, en lui inoculant les instincts nécessaires à la réussite d'une telle activité dans le respect de la nature, qui passe par l'apprentissage de chants tribaux. Après le départ provisoire de son compagnon, au fil des semaines, des mois, l'ex-comptable, esseulé, se remémore les apparitions stimulantes de la lingerie féminine qu'il a jadis entraperçue au détour d'une ruelle citadine. Idée fixe accaparant ses pensées quotidiennes, elle le condamne à commettre les forfaits qui lui permettront de rassasier ses penchants fétichistes.
Si l'idée ne manque pas de charme, j'ai toutefois été quelque peu frustré par la relative prudence d'Alexis à s'aventurer plus loin dans la perversité, comme si ce dernier avait honte de donner libre cours à des penchants lubriques, de livrer la pleine démesure qu'une telle situation aurait méritée à mes yeux.
Étrangement, ce sont les récits dont le narrateur est une femme qui parviennent justement à se laisser emporter par le flot d'idées malsaines circulant dans l'esprit des personnages.
« Comme mon sexe s'est bien ouvert ! Et mes seins, comme on les a bien touchés ! Mon corps a donné ce qu'il pouvait, la rondeur des épaules, la finesse de la nuque, les lèvres forcées par une langue, les yeux fermés par un baiser, les cheveux que l'on tient, que l'on tire, celui qui ne sait plus comment dire son envie, qui mord et frappe... Car j'ai besoin de sa violence, j'ai besoin de fermeté, et je me fiche d'être respectée. Prenez la femelle ! Ne laissez rien de votre courage. Soyez mâles, c'est tout ce que je demande, c'est tout ce que nous demandons. Pénétrez notre fente, arrosez le fond de notre ventre, battez à l'intérieur sans nous laisser d'autre choix que de jouir totalement. Dans le râle, les yeux perdus de l'amour, quand nous sommes consommées au feu d'un désir sans réserve, là, à ce moment, nous rejoignons ce que nous sommes. »
Le repas, au lieu, de se perdre en détours, en vagues circonvolutions, s'enfonce, toujours et encore, sans retenue, dans les souterrains sexuels de la féminité. La répulsion, par pulsations successives, se transmue en pulsion, en impulsion.
Le dernier récit, intitulé Résurrection, relate, heure par heure, le parcours d'un proxénète, Robert de Hanse, qui tâche de combler les fantaisies de ses clients. Plus que jamais, le sexe ne semble plus représenter une simple source de plaisir, mais un appel vers des contrées inaccessibles sans son essor, insurpassable dans sa puissance délivrée.
Sous la plume de Robert Alexis, le sexe se pare et s'empare d'une dimension insoupçonnable. Il devient dévoration, adoration, ou la fusion des deux. Il accapare l'esprit de celui qui se laisse tenter, qui se laisse démanger par ses délices.
Nora procure des sensations, des frissons, des frustrations aussi, subtilement mises en scène. Il ne s'agit pas de la pièce maîtresse de la bibliographie d'Alexis mais ce recueil n'en vaut pas moins un coup d'oeil à la dérobée.