jeudi 9 septembre 2010

De seuil en seuil, les eaux-fortes de Arlt submergent la taverne


C. : Tandis que le roman Les Sept fous vient tout juste de rejaillir chez Belfond, la traduction inédite des Eaux-Fortes portègnes, publiée par les toutes jeunes éditions Asphalte
, est une aubaine pour le lecteur potentiel de Arlt, tout autant que pour l'inconditionnel de l'Argentin. Cette redécouverte tardive suscite une interrogation rétrospective: celle de comprendre comment une œuvre si capitale, si puissante, ayant marqué de son empreinte une époque en Amérique du Sud, a pu passer si longtemps inaperçue sur le Vieux-Continent.Contrairement à celle de ses contemporains, Borges ou Bioy Casares, qui s'intéressent à des thématiques littéraires sensiblement moins ancrées dans leur siècle, l'écriture primesautière de Roberto Arlt épouse les soubresauts de la société argentine en pleine révolution à différents points de vue. On pourrait trouver dans la spécificité de son art l'un des motifs de la méconnaissance du public français à son égard.



AF. : Tu parles de réaction… En fait il y a un mot qui m'a frappé dans le livre, et qui est employé à plusieurs reprises : « idiosyncrasie », c'est-à-dire l'idée que l'homme réagit parfois sans réfléchir à son environnement, à la société, que cette réaction, cette adaptation, est épidermique en quelque sorte : qu’il existe donc une interaction possible entre un lieu, une ville, et l’homme qui s’y meut.
J’ai noté une phrase qui me paraît être une sorte de condensé de l'esprit du livre:


"Et vous découvrez quelque chose qui n'est pas le bonheur mais son équivalent. L'émotion." (p. 198).


Elle figure dans un chapitre qui ne m'enchantait pas au départ, que je tendais à considérer comme un peu moralisateur, et puis cette phrase m'a semblé résumer tout ce que j'avais lu…

C. : Assurément, nous avons affaire à un observateur hors-pair qui approche le mystère dissimulé derrière les faits et gestes de ses congénères, percevant avec une acuité redoutable les particularités de son environnement. A la qualification immuable, il préfère la description de l'instant.

AF. : Oui, c'est exactement ça. C'est pourquoi ce monde a quelque chose d'étonnant, à la fois toujours en mouvement et pourtant cohérent et fidèle à lui-même. Une question d'émotion, justement. Et je sais que parfois, en lisant, je ne pouvais m'empêcher de sourire (ce qui m'arrive très rarement quand je lis, d'autant que je ne souriais pas forcément à des choses amusantes). Tu dois me trouver folle.

C. : Alors, pour ainsi dire, je dois être fou aussi. Par-dessus tout, j'avoue avoir été bouleversé par l'aspect visionnaire de Roberto Arlt, d'autant plus frappant dans ces Eaux-fortes, desquelles jaillissent la causticité de la saynète prise sur le vif, la concision, l'acidité du journaliste, associées à l'état d'âme du vagabond. Comme nul autre, il semble pressentir l'insensible évolution de la société, comme s'il parvenait à l'intercepter dans son caractère irréversible.


AF. : C’est vrai. Le regard de Arlt est original, déconcertant, presque. Mais ce que j'aime aussi dans ce livre, c'est que l’auteur instaure ouvertement un dialogue avec le lecteur (quand il s'adresse à un "vous" anonyme, je ne pouvais m'empêcher de me sentir directement concernée, même si, contrairement à certains – suivez mon regard - je n'ai jamais mis les pieds à Buenos Aires). Ce que j'aime aussi, c'est ce constant aller-retour entre une littérature très populaire (les saynètes que tu évoquais) et des références à la « grande » littérature (je pense cette fois-ci à Foma, le héros d’une nouvelle de Dostoïevski, Le bourg de Stépanchikovo et sa population, à Quevedo, à d'autres...).

C. : A vrai dire, cette approche est assez atypique dans l'œuvre de Roberto Arlt. Il faut garder en tête qu’il s’agit avant tout de chroniques destinées au journal El Mundo. L’auteur de celles-ci puise dans les images captées au cours de sa journée la matière à faire revivre des situations familières dans le cœur de ses concitoyens, en insistant sur son caractère spontané, rehaussant la saveur particulière et le parfum caractéristique du moment. Elles ont la contrainte du divertissement, et Arlt leur appose une puissance réflexive.

AF. : Je crois que tu as parfaitement raison. Ce qui est étonnant aussi, dans ce livre, c'est que ces textes n'étaient pas supposés former un tout, et que de leur juxtaposition naît un univers que je trouve extrêmement fort, possédant une vraie unité dans la diversité (même si des thèmes sont récurrents - le mariage ou les fiançailles, la recherche d'un travail, les paresseux et toutes leurs variantes - ça, j'ai adoré...).

C. : En effet, ces billets peuvent se lire au fil de l’eau ou bien indépendamment les uns des autres. Ils sont en quelque sorte le penchant littéraire de Palermo, Recoleta, Flores, les quartiers de Buenos Aires. Micro-cités disparates, bariolées que tout semble opposer et qui sont portées par un amour commun de ses concitoyens.
Au fil du temps, on voit naître, ici ou là, des mutations communautaires, engendrant des comportements et habitudes pittoresques, symptomatiques de la société moderne. L'un des talents majeurs de Arlt est d'être capable de saisir au vol l'évolution en cours, de capturer, sans que l'on puisse s'en douter, une photographie de la gestation.

AF. : Oui, et je ne sais si tu es d'accord avec ça, mais à mon avis il y a un personnage qui condense tout à fait cette idée, et que l'on retrouve à plusieurs reprises : l'homme du seuil (pas étonnant que ça me plaise, n'est-ce pas?).
En fait, il n'est ni dedans, ni à l'extérieur, ce n’est ni un mari parfait, ni un époux volage, il ne travaille pas vraiment mais ne traîne pas non plus - il ne sait où se placer, n'a pas de lieu à proprement parler, comme tu le dis c'est un individu qui ne peut s'inscrire en une quelconque stabilité.

C. : L'homme du seuil est un être demeurant sur le quai de la société, indécis en quelque sorte sur la direction à emprunter, sceptique au sujet de la destination à suivre. Il s'absorbe dans une nonchalance typiquement argentine, ce citoyen qui a assisté à tant et tant de bouleversements dans son pays que c'est avec prudence et perplexité qu'il scrute le monde extérieur, à l'abri des regards.

AF. : En fait, cet homme du seuil, est-ce que tu crois que ça pourrait être une sorte d'allégorie de l'homme argentin? Il est au seuil de tant de choses (de cultures différentes, de changements sociaux comme tu le disais : il est un peu à la limite de tout, et n'ose ni rester chez lui ni sortir). Du coup, c'est un témoin, un peu d'ailleurs comme Arlt lui-même, qui témoigne plus qu'il ne participe.

C. : Tu n’as pas tort, il représente à mes yeux l'incarnation de l'Argentin méditatif, l'ancêtre en quelque sorte du gaucho mélancolique qui a donné naissance à tout un pan de la littérature du pays. C’est un homme à la lisière d’une époque en devenir et d’une ère révolue.
Dans le même temps, je me disais que Arlt est tout autant dépité qu'amoureux de cette spécificité nationale. Ces eaux-fortes baignent dans un sentiment d'empathie. L’auteur s'efface au profit de cette galerie de personnages suffisamment éloquents pour nourrir l'imagination du lecteur, et pour que celui-ci se substitue à l’auteur lui-même, qu'il s'immisce subrepticement dans les rues de Buenos-Aires, qu'il subisse directement le charme de ces quadras et esquinas, de leur ambiance hors du temps.


AF. : Oui, c'est vrai, à tel point que l’auteur semble parfois se dédoubler et se traiter en personnage, tout comme les silhouettes croisées dans les rues de Buenos Aires. Et tu as raison, c'est un livre d'ambiances. Moi, je n'ai pas eu la chance d'aller là-bas, mais j'ai l'impression de connaître un peu celles de ces rues tant le livre en est gorgé...

C. : Pour revenir à ce que tu disais Anne-Françoise, je préciserais que certains ingrédients de la vie de tous les jours, le lunfardo, le maté ou le tango plongent ces eaux-fortes dans une atmosphère reconnaissable entre toutes. On a souvent assimilé Arlt comme étant le fondateur de la “littérature urbaine”. Même s’il est représentatif de sa proximité avec les citoyens, je trouve le terme quelque peu péjoratif.
Evidemment le lunfardo, l'argot des rues de la capitale, a une part prépondérante dans ces textes. Il est ici nuancé, expliqué à plusieurs reprises, donnant lieu à des chroniques pour le moins croustillantes. Le petit lexique arltien, que l’on retrouve à la fin de l’ouvrage, nous en propose d’ailleurs un bref aperçu.
A ce titre, ne pas manquer cette chronique offrant un plaidoyer sensationnel aux jargons mis à mal par des réactionnaires empêtrés dans un usage désuet et nauséabond de la langue. Arlt s’affiche en ardent défenseur de sa modernité, clamant haut et fort qu’elle doit être dotée de tout le tumulte de la population qui l’emploie, de toute l'impétuosité des porteños. Doit émerger entre la langue et celui qui se l’approprie, une connivence sensible.

AF. : Oui, la chronique dont tu parles est juste après celle sur la sincérité comme alternative au bonheur, que j’évoquais avant; je pense que tu es mieux que moi à même de la commenter.
J'y pensais avant quand nous parlions du seuil : la langue d'Arlt est aussi une langue du seuil... tout à l'heure j'avais une phrase sous les yeux, qui me semblait tout à fait représentative.

C. : J’espère que tu pourras, avant que la taverne ne ferme ses portes, nous en faire profiter, que la mémoire ne te trahira point. Ceci dit, partis comme nous sommes, risque de s’imposer une suite à notre entretien.
A mon humble avis, la langue de Arlt ne serait pas aussi saisissante sans la prouesse de la traductrice, Antonia García Castro, qui a réalisé le tour de force de restituer toute l'immédiateté du langage de l’auteur, sans pour autant en occulter la poésie latente. Quand je lis ce texte, me revient en mémoire le slogan des éditions de La Dernière Goutte dont tu évoquais dernièrement le travail sur ton blog :



« La dernière goutte aime le verbe, les mots, ce qui claque, ce qui fuse, ce qui gifle et qui griffe et qui mord. Les contes cruels, les dialogues acides. »


Car moi aussi, je dois dire que j'affectionne les mots qui claquent...

AF. : "La plaque pousse une gueulante de somptuosité"… La voilà, cette phrase qui claque !
Tu sais, Christophe, que je ne parle pas espagnol. Mais ce qui est vraiment flagrant ici, c'est qu'il y a une langue très particulière dont je parviens, je crois, à saisir le rythme, entre nostalgie d'un passé qui n'existe pas, angoisse d'un avenir qui ne se dessine pas vraiment (comme dans cette île de Maciel dont les contours semblent avoir disparu).
Je perçois un rythme à la fois lent et chaloupé, triste, beau et sensuel :



"Vous étiez assis à la table d'un café. Vous preniez votre pied à ne rien faire. Votre âme débordait d'une équanimité extensible à la plus humble des créatures de la terre et, absolument peinard, vous vous disiez: "On n'y peut rien, la vie est belle ".
..."Ce qui valait bien un autre demi".

J'adore l’association : "équanimité" avec "peinard".

C. : Et un "demi" avec "peinard", c'est un joli pied de nez aussi.

AF. : L’éditeur propose la playlist de la traductrice sur le rabat de la troisième de couverture : il faudrait décidément que je l’écoute…


C. : Il faudra bien, l'un de ces jours ensemble, à l’ombre d’une terrasse, d’un cèdre ou d’un eucalyptus, siroter un maté ou déguster un bon pinard de Cafayate. Un refrain du Cuarteto Cedron, ou un couplet de ce duo français qui a repris à son compte le nom de l'Argentin, nous inviteraient alors à revivre l'une de ces scènes dont il est question dans ces Eaux-fortes. Pourquoi pas celle de la tristesse du samedi chômé, le récit imaginaire de ces fenêtres toujours éclairées à trois heures du matin, ou l’histoire, mélancolique à souhait, du Don Juan et de ces dix centimes qui lui font cruellement défaut?

AF. : J’en rêve… C’est vrai !
As-tu pensé aussi que ce qui est frappant dans le style, c'est cette juxtaposition d'un langage extrêmement raffiné avec une langue très populaire : il y a aussi dans ces textes une langue très savante, délicate, celle d'un lettré... et des références à des œuvres qui sont loin d'être des romans-feuilletons. La surprise est à chaque coin de phrase...

C. : A chaque esquina syntaxique pour ainsi dire. Et en effet, ce recueil grouille de références à la fois historiques, populaires, littéraires, musicales, burlesques... Le mélange de toutes celles-ci, associé au trifouillage, au tripatouillage de ces divers vocables ne dessert absolument pas la cohérence de l'ensemble. En ayant conscience de la difficulté relevant de la traduction d'un tel auteur, on peut sans exagérer parler de prouesse salutaire pour la langue. Et pourtant, dieu sait qu'on a souvent, à tort tout autant que de travers, accusé ce fils d'immigrés prussiens, de maltraiter la syntaxe dans tous les sens du terme. Poussée à son paroxysme, la sincérité de son écriture peut parfois s'apparenter à de la virulence. Indiscutablement, il fait partie de ces auteurs qui ont un besoin pressant de faire, à travers leur prose, exploser leur rage. Une urgence palpable qui conduit à un discours offert sans fioritures ni maniérisme. L’art brut selon Arlt...

AF. : On en revient à l'idée d’eau-forte (je me demande s'il n'y a pas un lien entre ce procédé de gravure et le vitriol? Le vitriol est de l’acide sulfurique, l’eau-forte est gravée avec de l’acide nitrique. Je m’y perds un peu…). Mais c’est une langue qui a toutes les caractéristiques du monde qu'elle veut susciter. Cette idée est développée dans la préface offerte par la traductrice. C'est pour cela que pour moi, Arlt est un immense écrivain : c'est ce qui fait la richesse de ces textes rassemblés. Moi, je sens que je vais les relire par moments, les déguster à nouveau, les triturer, les malaxer dans tous les sens…De toute façon, la syntaxe doit être triturée, malaxée, torturée pour devenir intéressante...

C. : J'apprécie ta comparaison anatomique de la syntaxe, si je puis m'exprimer ainsi. Cela me fait quelque peu songer aussi à la préface des Sept fous de ses traducteurs, Isabelle et Antoine Berman, qui rendent hommage à l’idée d’invention, si chère au romancier :



L'originalité de cette écriture (qui) doit être située dans ce que Arlt appelait lui-même une "prose polyfacétique". Une prose faite de la coagulation, du brassage, du mixage, de la fusion de plusieurs "langages" hétérogènes: le parler du Buenos Aires des années 30, l'argot argentin, le lunfardo, l'espagnol classique, le lexique des traductions (...) et toute la littérature de seconde main formée par les romans-feuilletons, les magazines populaires, etc.


L'académisme et la sacro-sainte filiation à une tradition assujettissante (on en parlait récemment) est peut-être justement ce qui empêtre la littérature européenne. Inversement, la jeunesse de la littérature argentine (et à plus forte raison, sud-américaine) permet de susciter une émulation par la diversité, par l'invention. En ce continent où les idées affluent, la création est appréciée dans son sens premier du terme, et non plus, dans le cadre complaisant d’un moule contrefaisant un langage astreignant, obligeant à reproduire un itinéraire maintes et maintes fois emprunté.


AF. : Pour moi, les mots sont aussi réels que la chair. Cela peut paraître bizarre et je ne peux me l'expliquer... Mais pour en revenir à Arlt- et tu as entièrement raison quand tu évoques le lien essentiel entre la vivacité d'une littérature et le rapport qu'elle entretient à une tradition, la façon dont elle se sert aussi des mots comme d'une pâte (ça me fait penser à la peinture, tout ça)- je pensais à une chronique que je trouve magnifique, celle qui s'appelle "La vie contemplative" (p. 215). Je crois qu'elle fait la synthèse de beaucoup des choses que nous avons dites ce soir.
En fait, c'est ce rapport de l'homme à l'action - il choisit non pas l'inaction, mais se laisse gagner par la lassitude qui fait de lui non plus un acteur, mais à nouveau cet homme du seuil, qui sera un témoin, mais peu impliqué... La fin de la chronique est extraordinaire à la fois d'humour et de raison, avec cette idée d'après-midi éternel... c'est-à-dire qu'il y a tout de même une volonté -celle que tu évoquais plus haut- à savoir celle de capturer quelque chose, de figer le temps, et, du coup, ce paresseux - ce "fiacún" est peut-être le seul à échapper à ce mouvement perpétuel.
C'est un peu comme les enfants qui naissent vieux (je crois que c'est un des premiers textes) - le temps est ce qui va contre nous, et les porteños de Arlt tentent quelque part d'échapper au temps.

C. : Tu as mis le doigt sur un point essentiel à mes yeux : le fiacún n'est pas un nihiliste, ou un fainéant quelconque. En dépit de sa démarche nonchalante, il s'évertue à cultiver un esprit bien plus philosophique qu'il n'y parait.
D'ailleurs, il n'est pas vain de souligner que Arlt conclut cette chronique en déclarant que:



"En Inde, ces indolents seraient de parfaits disciples de Bouddha, puisqu'ils sont les seuls à connaître les mystères et les délices de la vie contemplative."


AF. : Oui, j'adore cette fin - qui illustre parfaitement tout ce que nous avons dit, avec d'abord ce retournement stylistique (une langue soutenue après un langage plutôt "vert") et cette pirouette philosophique.


C. : De mon côté, je dois dire que j'ai été très touché par beaucoup de textes, mais tout particulièrement par celui des grues de Maciel, que tu évoquais tout à l'heure.
Au travers de cet enchevêtrement urbain et informe, l'humanité semble avoir été éradiquée, comme si nous assistions à la description d'un monde post-apocalyptique. Soit dit en passant, ce texte n'est pas sans rappeler un extrait des Lance-Flammes ( la suite des Sept Fous), durant lequel on assiste impuissant à la description d'une ville asphyxiée par la prolifération d’affiches publicitaires, oppressée par l'érection de toute une armada de gratte-ciel hideux au possible. L'apparition finale est ici poignante et laisse envisager un îlot de laissé-pour-compte, de citoyens engloutis par une machinerie tentaculaire. La ville dans l’œuvre de Roberto Arlt palpite comme un fauve, elle s’insinue comme une présence dévorante, bestiale en quelque sorte. A ce sujet, je te recommande d’aller faire un tour sur le blog d’iorol.

AF. : Mais je veux te dire pourquoi je suis contente que tu parles des Grues abandonnées... Tu sais combien je suis obsédée par cette idée de seuil. Eh bien, j'ai noté, en lisant cette chronique, qu'elle rendait cette idée presque concrète. Elle m'a énormément touchée aussi, car cette île est un lieu où tout se mêle et rien n'a plus de consistance propre, semble-t-il.
Tu connais le « Stalker » de Tarkovski, ce passeur entre deux mondes... Je me suis demandé en lisant cette chronique si Tarkovski la connaissait, ce qui me semble hautement improbable. Mais il existe parfois d’étranges parentés entre des univers très différents à l’origine…

C. : Hélas, je n'ai pas encore eu le temps de découvrir le cinéaste russe, mis à part L’Enfance d’Ivan, un film à la photographie proprement sidérante. Mais, qui sait?
Moi aussi, je dois dire que je me plais à inventer des filiations insoupçonnées entre artistes éloignés par la distance, par le temps, rapprochés plus que tout par un génie intemporel. Et d'ailleurs, parfois, en prenant conscience de tous ces artistes dont je n'ai pas encore eu le temps d'explorer l'œuvre, je suis pris de vertige.
Les Grues, quant à elles symbolisent à mes yeux les rouages défaillants et irrépressibles d'une société lancée à vive allure, vers un progrès dont elle imagine la portée mais dont elle n'est pas capable de mesurer ce qu'il offre. Elles incarnent la transition de cette société, dans les espoirs qu'elles apportent, et dans le désespoir qu'elles rapportent.






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