jeudi 2 septembre 2010

La mère, le fils et la recrue des sens


« Récit ou poème, réflexion ou vision, le texte a partie liée avec le corps- avec le souffle et la voix, avec le chant, la plainte et le cri, avec la pression des organes et la tension des muscles. Il est la concrétisation des échanges vitaux et des émotions de fond. »
La découverte d'Augias et de ses infamies fut une révélation, qui m'incita à ne pas en rester là, à prolonger le plaisir de lecture, à propager les émotions ressenties. Claude Louis-Combet est un écrivain précieux dans la mesure où chacune de ses phrases tisse une relation intense entre temps présent et désirs latents, engendrant un corps à corps entre fantasmes et réminiscences, entrelacés dans une copulation des mots absolument jubilatoire. Il fait partie de ces auteurs dont les mots ne m'emportent que déclamés à voix haute.
« Constamment, dans son enfance, il avait trempé ses bras et ses jambes dans les eaux bourbeuses, grouillantes de bestioles, insectes, têtards, larves, vermisseaux. Sa mémoire d'homme, toujours hantée des impressions les plus lointaines et toute nourrie des traces laissées par les sensations élémentaires, le tenait disposé à tout instant à retrouver, comme pour les revivre, des images d'enfoncement et d'absorption, d' indistinction et de participation à la vie universelle- comme s'il avait été, lui-même, à l'origine, un corpuscule enfanté par le brassage de l'eau, du limon et des plantes. Cette source première, préhumaine, de son existence, pour le moins inconsciente, lui prodiguait les éléments d'une rêverie sans cesse régénérée qui le conduisait jusqu'aux confins de la béatitude. »



José Corti publie en ce début septembre Le Livre du fils. Sans trahir pour autant sa dimension religieuse et son rapport avec les origines, l'oeuvre aurait tout aussi bien pu s'intituler Genèse.
Il s'agit non pas tant d'un roman que d'une sorte de fil conducteur parcourant le destin d'un fils, traçant et arborant les rapports qui tout au long de sa vie vont le rattacher à sa génitrice.
A chaque chapitre, malgré le passage du temps, l'éloignement qui se creuse entre mère et fils, on découvre l'évolution d'une passion située à la lisière de la ferveur et de l'amour, à la frontière de l'interdit et du sous-entendu, à la rencontre de l'indicible et de l'indécent.
Au plus profond de ces pulsions guidées par des senteurs, aiguisées par un goût de chair maternelle, dictées par l'attirance des tréfonds humides et bourbeux, de la sensation de la mousse croupissante des marais et paludes, ressurgissent le désir de renouer le lien ombilical, le besoin de s'accoupler avec la nuit des temps, de se fondre dans la matrice dans son dépouillement le plus total. Ne faire plus qu'un avec elle, s'absorber dans une contemplation silencieuse et béate de la vie précédant la création.
Claude Louis-Combet subtilement dresse le portrait d'une relation guidée par l'initiation, submergée par un flot d'obsessions, par un tout un lot de fascinations, qui s'immiscent dans l'esprit du fils sans que celui-ci ne puisse réfréner ses faits et gestes. Le pêché, prépondérant dans l'oeuvre de Louis-Combet s'insinue dans l'esprit du fautif comme un substrat corrosif. Dès lors, si le rapport avec la mère déliquescente, devenant plus exécrable que délectable, perd de son innocence primaire, elle enfante la rupture qui rend possible la conception de l'écriture, inoculée dès la plus tendre jeunesse.
De la mère vers l'amante, le déplacement de la passion n'en devient pas pour autant moins puissant et moins prégnant. La recrue des sens découle d'une transmission de vie, de la régénération perpétuelle de la mémoire, qui constituent la substance élémentaire nichée au creux de la femme.

Si la langue de Louis-Combet me subjugue toujours autant, si le pouvoir de ses mots me laisse étourdi, j'émettrai tout de même quelques réserves quant à la redondance du propos, à la complaisance aussi à se lover dans l'aspect religieux. Impression de va-et-vient et de retour incessant, sans doute voulue en amont, mais qui entrave quelque peu la fluidité de la prose. Même si Le Livre du fils n'est probablement pas l'oeuvre la plus marquante de la riche bibliographie de Louis-Combet, il n'en demeure pas moins un fort beau texte qui apporte un éclairage rétroactif sur la perception de la relation filiale chez cet auteur, et qui permet de saisir plus globalement la cohérence de l'ensemble de cette oeuvre.

La courte deuxième partie « Corps d'écriture » est ainsi un passionnant témoignage sur le rapport entre le sensoriel et l'écriture, l'importance de l'accouchement de l'expérience à travers un souffle qui traverse des siècles et des siècles pour expulser toute sa puissance élémentaire. Quelques pages qui reflètent un travail d'écrivain dont l'aboutissement laisse deviner les étapes successives de création, et une appréhension optimale du support de l'artiste.



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