mardi 2 novembre 2010

Des aventures sous-marines qui nous viennent du Québec

Quel est le point commun entre La nuit sans fin, Nanoushkaïa, Locus Solus et La vie palpitante d'Antoine P.?
A l'origine de ces réalisations plus ou moins loufoques, on retrouve des auteurs embarqués dans une revue sous-marine qui nous vient du Québec, ayant pour nom de code Le Bathyscaphe, et dont nous reparlerons très bientôt à l'occasion de l'accostage du numéro 6.


 
"Il est bien connu, d'ailleurs, que l'un des moyens de parvenir à la connaissance de soi est de construire un labyrinthe qui vous ressemble." ( André Pieyre de Mandiargues)

Antoine Peuchmaurd, fils d'un illustre poète, est armateur-photographe, amoureux des mots et des situations décalées. Montreal et sa banlieue représentent son terrain de jeu favori, qu'il traque nuit et jour, muni de sa bicyclette et de son appareil photo dont l'objectif est à l'affût de l'incongruité cachée derrière un pan de mur, une devanture de magasin, une affiche publicitaire ou encore un panneau signalétique. Développer une vision en marge, déranger les clichés, cheminer au-delà des sentiers battus, telle est l'approche palpitante du blog d'Antoine P., qui nous offre en sus des articles miniatures effrayant la chronique académique.

"N'avait-il pas dérivé toutes ces années dans une boucle du temps?" ( Thierry Horguelin dans Le Trou du souffleur)

C'est ce même Antoine qui est responsable de la couverture de La nuit sans fin, signé Thierry Horguelin, un recueil de nouvelles dominé par l'impression d'illusion et de circularité. La couverture reproduit le tableau d'une femme allongée sur un tapis de feuilles. Seules deux jambes dépassent de l'abreuvoir dissimulant le reste du corps. La quatrième de couverture n'est que le reflet de cette scène pour le moins dérangeante, tandis que les noms des différents personnages évoqués dans le livre se retrouvent alternativement à l'endroit et à l'envers en deuxième et en troisième de couverture.
Dans Le grand transparent, c'est la nature cristalline du décor et de la bibliothèque qui troublent la perception du personnage. On peut envisager l'invisibilité des livres comme une projection de l'univers insaisissable qu'ils contiennent. Le propriétaire des lieux, ainsi que l'inspiration du récit ne sont pas sans rappeler Jorge Luis Borges.
La nuit sans fin déboussole le lecteur par l'hétérogénéité des situations évoquées qui s'oppose à l'immuable identité du protagoniste au fil des récits.
Le trou du souffleur ressemble à s'y méprendre à une sorte de faille spatio-temporelle, qui incite un spectateur des théâtres parisiens à pervertir la mise en scène des pièces qu'il revit, en immisçant son grain de sel. Il est alors loin de s'imaginer toutes les conséquences qu'une telle audace est susceptible de provoquer autour de lui.
L'affaire Dieltens, quant à elle, nous confronte à une page de la biographie d'un artiste légendaire, accusé par ses pairs d'avoir plagié ses contemporains, et qui semble avoir pris un malin plaisir à construire son oeuvre autour du principe de la mystification. Thierry Horguelin a su de toutes pièces créer l'oeuvre et la vie de cet artiste pluridisciplinaire, qui confondent le lecteur par leur crédibilité. Pour ma part, je me suis tellement pris au jeu que j'ai, après avoir lu le texte, été vérifier l'existence de ce Dieltens, en étant persuadé que je retrouverais une trace de lui.
Quel rôle joue le sempiternel figurant de séries B, L'homme à l'anorak jaune, dans le déroulement de ces dernières? Au fil des retransmissions nocturnes de Simple cops, un téléspectateur sans emploi, va tenter de percer le mystère que recèlent ces apparitions systématiques, en s'efforçant de scruter du regard ce qui semble se dérober à la caméra, développant ainsi une sorte de sixième sens qui le relie aux coulisses de la série. On pense irrésistiblement à Alfred Hitchcock, réalisateur qui avait pris l'habitude au cours de sa carrière de se montrer subrepticement dans chacun de ses films.
L'Ennemi nous plonge dans l'esprit d'un homme persuadé d'être poursuivi. C'est ici l'esprit paranoïaque du personnage qui provoque l'illusion d'un antagonisme tapi chez ses congénères. La conclusion de cette nouvelle nous renvoie une fois de plus vers cette idée de boucle incessante emprisonnant irrémédiablement les personnages au coeur de leurs mésaventures.


Tableau peint par la machine de Louise Montalescot

Locus Solus est le titre d'un étrange roman de Raymond Roussel paru en 1914 au cours duquel Martial Canterel, savant génial et fou, dévoile à quelques visiteurs ses inventions étonnantes regroupées dans sa vaste propriété de Montmorency.
C'est par ailleurs le nom que Thierry Horguelin a emprunté pour son journal de bord curieux et protéiforme. On retrouve dans son blog des oeuvres inclassables passées au crible, des observations de lecteurs plongés dans un livre, des pièces de collection dénichées chez un brocanteur, des pérégrinations qui mènent au carrefour du réel et de l'étrange. Locus Solus est un lieu insolite, en marge des autoroutes cybernautiques.

«Les Oies de Cravan naissent des mâts pourris des navires perdus au Golfe du Mexique.»(Louis Scutenaire, Les secours de l'oiseau)
Bérangère Cournut avait fait parler d'elle dans la taverne avec L'Ecorcobaliseur, un roman déjanté en eaux troubles, disponible chez Attila.
L'Oie de Cravan, chalet d'éditions fondée en 1992 par Benoît Chaput, nous propose depuis l'année passée de découvrir Nanoushkaïa, un bref conte enfantant de drôles de visions à un rythme hallucinant. L'écriture, fantaisiste et poétique à souhait, ne laissera probablement pas de marbre le plus insensible des lecteurs de la banquise. Le titre fait partie de la collection de livres soigneusement cousus à la main( Le fer et sa rouille) qui saura aisément se faufiler dans toutes les bibliothèques du Québec et de l'Antarctique.

Aucun commentaire: