mardi 14 juillet 2009

Visage vert opus 16: atteignons le septième ciel ensemble



Le mois de juin est le mois des jours sans fin et de la luxuriance, mais aussi celui de l'arrivée du nouveau visage vert.
L'habillage, depuis le quatorzième opus, est toujours aussi séduisant. Comme pour les derniers numéros depuis la résurection de la revue, nous avons à nouveau droit à ce motif du miroir réfléchissant entre le devant et le dos du livre, et la touche rétro qui lui va comme un gant. Au centre, en bleu, est annoncé le dossier central de la revue:

SORCELLERIE ET LITTERATURE ALLEMANDE

Parmi les noms qui intriguent, figurent sur cette page celui de Johannes Ilmari Auerbach, mis en valeur par une police de caractère gothique.
Explorons les entrailles de cette nouvelle livraison inquiétante, qui sera à nouveau l'occasion de découvrir des noms fort méconnus.

Justement, pour ouvrir ce numéro 16, nous avons droit à un texte du sculpteur et peintre Johannes Ilmari Auerbach. Le concours de suicide est, apprend-on par Robert N.Bloch, son unique et seule oeuvre macabre, que Giovanni Papini, auteur de Gog, n'aurait probablement pas renié.
Le narrateur est censé être un reporter qui doit rendre compte d'un événement singulier dont l'absence volontaire d'éléments spatio-temporels nous empêche de situer l'action, si ce n'est qu'elle doit prendre place sur le Vieux-continent.
Un richissime homme dénommé K. décide d'organiser un concours de suicides auquel participera douze candidats, conviés au préalable à un repas qui s'apparente à une sorte d'anti-cène, tout ce qu'il y a de plus obscène. Le gagnant se verra offrir la modique somme de cinquante millions qui lui permettra de jouir post-mortem d'une sépulture digne de ce nom, et de fournir un pécule non négligeable à ses proches. Le barème, scrupuleusement décrit en préambule, fait preuve d'un humour pince-sans-rire absolument jouissif:
"Seront jugés positivement: un calme ordinaire, une conscience manifestement pleine et entière de la situation, une conversation enjouée et spirituelle et un bon appétit."
La suite réserve des petites surprises absolument délectables dont je serais cruel de vous priver. On ne pouvait rêver meilleure entrée en matière.

Vient ensuite un très fourni dossier, signé François Ducos, sur le détective Nick Carter, qui nous rappelle que les séries publiées dans les périodiques étaient à la mode au début du XXème siècle. Nick Carter est un personnage dont l'esprit rigoureusement rationnel se heurte de plein fouet à l'étrangeté des faits auxquels il est confronté. Son charisme lui a même permis de connaître plusieurs adaptations sur le grand écran, parmi lesquelles celle du prestigieux réalisateur français Jacques Tourneur, intitulé Phantom Raiders ( avec Walter Pidgeon interprétant Nick Carter).
Derrière ce fin limier, se cache plusieurs auteurs qui ont su combler les attentes du public. L'une des plus importantes contributions est la personne de Frederick Van Rensselaer Dey qui a écrit un miller d'aventures, pas moins de cinq millions de mots, à raison d'environ 33000 par semaine. Le document Comment j'ai écrit un millier d'aventures de Nick Carter, écrit de sa main, est un témoignage précieux et captivant sur son inflexible méthode de travail, et les rapports qu'il unissait avec ses congénères, afin de trouver son inspiration. D'aucuns y verront une démarche davantage hautaine qu'authentique.

Le vent dans le grenier de Alfred Maclelland Burrage est une fiction qui débute autour d'un échiquier. Des bruits étranges venant du grenier vont alimenter une conversation qui va sortir du cadre ludique. Même si cette nouvelle semble classique dans le fond, l'ambiance et l'élégance formelle en font une oeuvre qui se lit avec beaucoup de plaisir.

Le visage vert aime faire des incursions exotiques dans le paysage littéraire. La découverte de cet auteur chinois Yuan Mei apporte un sympathique intermède à l'atmosphère étouffante des pages précédentes. Mon coup de coeur revient aux trois récits tirés du Zi Bu Yu(1788) et un de sa suite, Xu Zi bu yu(1797) et ses audaces humouristiques.
Ses huites contes vulpins autour de la figure maléfique et pernicieuse du renard demeurent plaisants mais trop prévisibles et répétitifs à mes yeux.


L'auteur suivant pour lequel nous sommes invités à découvrir l'oeuvre est Jules Lermina, qui revient régulièrement dans les anthologies fantastiques et étranges.
Au cours des deux nouvelles présentées ici, l'auteur mène en bateau le lecteur en lui faisant songer successivement à une explication surnaturelle puis logique des faits. Dans l'Ecorché vivant, un reporter est entrainée dans la taverne des Blue bells, à assiter à un spectacle qui s'affiche comme:

"INOUÏ ! UNIQUE! GREAT ATTRACTION
A neuf heures
L'honorable Li Miao Sing
Se dépouillera devant la respectable assistance
De sa peau
Venez voir
L'homme sans peau, mais vivant !"

Comme dans Le concours de Suicides, il y a confrontation entre la démarche journalistique réaliste et l'étrangeté de la situation, renforcée ici par l'apparition d'un acteur, en provenance de contrées lointaines.
De plus, Jérôme Solal au cours de l'article suivant nous apprend que Lermina aux multiples pseudonymes était lui-même journaliste au moment de la publication du récit dans le Gaulois.
Son analyse permet d'avoir accès à différents sens cachés derrière ce spectacle.
Dans Au-delà, Jules Lermina déroute à nouveau le lecteur par une construction qui l'amène progressivement à croire en une cause surnaturelle dans la claustration du grand maigre à cheveux noirs M.Michel et du gros à peau rougeaude M.Valade, dans une petite maison de Vair-sur-Vaise.
Indéniablement, on ressent dans ces deux textes une grande maîtrise de la forme nouvelle, grâce à une atmosphère vite campée, au mystère qui s'en dégage, et à une économie de mots.
Pour vous faire une idée, je vous invite à écouter la lecture de la nouvelle par Nikola.



Parlons maintenant du morceau conséquent de ce seizième numéro du visage vert, à savoir le dossier Sorcellerie et littérature allemande.
Ce n'est pas un hasard si le nom de Hans Jakob Christoffel von Grimmelshausen est retenu pour ouvrir cette partie. Son bal des sorcières , extrait des Aventures de Simplicissimus de 1669 (durant la guerre de trente ans), est l'une des premières oeuvres de l'histoire à évoquer la thèmathique en Europe. Cette oeuvre partiellement autobiographique constitue non seulement l'un des monuments de la littérature germanique du XVIIème siècle ( au même titre de Don Quichotte pour la péninsule ibérique) mais aussi un témoignage précieux de la représentation de la danse des sorcières. Grimmelshausen choisit de mêler évocations animales fantastiques et allusions érotiques pour mener un bal aux images évocatrices.

Deuxième figure marquante du paysage littéraire démoniaque de langue allemande, le tchèque Karl Hans Strobl, a écrit la nouvelle Der Hexenrichter(Le juge des sorcières). Un juge rentre chez lui et aura la surprise de rencontrer le diable en personne. Datant du début du XXème siècle, le style, mêlant horreur et humour grinçant, tranche radicalement avec le style beaucoup plus baroque de Grimmelshausen. Le lecteur est plongé dans une atmosphère ténébreuse, grâce à une mise en éveil des sens de tous les instants (onomatopées, descriptions minutieuses des sensations, images évocatrices...).

La pie sorcière de Hans Watzlik( originaire de Bohême) est une nouvelle qui distille une ambiance mystérieuse, inquiétante à laquelle l'environnement sylvestre contribue, comme un acteur à part entière.
La forêt a une place à part en Allemagne, où celle-ci étend son territoire de façon démesurée. Son caractère étouffant, changeant, effrayant a été exploité remarquablement par des auteurs comme Watzlik, qui s'est servi de ses ombres et lumières pour faire surgir des esprits et forces démoniaques. L'article qui suit de Michel Meurger, qui mène la danse du dossier, met en avant l'aspect évocateur de l'environnement sylvestre.

La nouvelle qui suit est signé par le seul auteur contemporain, à l'exception de Michel Meurger, publié dans la présente revue. Michel Siefener est un auteur et traducteur qui avait déjà signé Nonnes(éditions du visage vert). Ici, il signe une nouvelle dont les éléments contemporains( la voiture, le téléphone, la réunion tuperware) surprennent quelque peu au milieu de cette revue. Cependant, La tentation a le mérite d'être plus facile d'accès que les oeuvres précédentes. Cela n'a pas suffit à me convaincre. Ici, la fiction et l'écriture se rapprochent trop du quotidien ordinaire pour que l'évasion soit permise. Il m'a semblé que les emprunts à M.G.Lewis, Lovecraft et Stephen King étaient quelque peu maladroits.



Enfin, vient le très fourni dossier de Michel Meurger intitulé, Gravissons le Brocken ensemble.
Le Brocken serait le lieu privilégié par les sorcières pendant la nuit du Walpurgis. Cet endroit se situe réellement en Saxe-Amhalt (Harz).
Le travail de Michel Meurger dans le domaine fantastique, de ses thématiques, de son bestiaire, est absolument considérable.
Il a reçu en novembre 2007 le Grand Prix de l’Imaginaire dans la catégorie “Prix européen” pour les passerelles que crée son œuvre entre la France, l’Allemagne et l’Angleterre.

Toujours très documenté sans démesure, le dossier évoque les rapports qui unissent la très tourmentée histoire de la sorcellerie en Allemagne et la littérature qui s'en est inspirée. Truffé d'anecdotes et de témoignages ancestraux, il nous rappelle que cette littérature pouvait aussi servir un but politique insinué, en dénonçant l'aspect odieux et horrible des procès manipulés et des séances de tortures abominables qui s'en suivaient ou, à l'inverse, le caractère dangereux des serviteurs de Satan. Si l'auteur a choisi l'Allemagne pour son étude, c'est, il est indéniable, car ce pays a constitué un foyer d'ampleur de procès de sorcellerie, mais surtout car il nous offre une profusion d'oeuvres délaissées, d'une richesse insoupçonnée aux lecteurs français, qui auraient envie d'aller plus loin que l'oeuvre des célébrissimes Hoffmann et Goethe. Les thèmes abordés au cours de cette étude sont toujours très pertinents et nous permettent aussi d'appréhender les oeuvres précédentes sous un angle renouvelé et de déceler la parenté qui unit les figures marquantes du paysage littéraire et la sorcellerie en Allemagne.


En conclusion, la dernière livraison du visage vert est à nouveau fort recommandable, grâce à une sélection dépaysante, mise en relief par des analyses pénétrantes.
Les illustrations ainsi que la mise en page sont à nouveau remarquables et renforcent le charme de la revue, dont j'attends d'ores-et-déjà, le prochain numéro avec une impatience non feinte.





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